SUCRE ET SECRET
Presse

Magazine littéraire. Alexandra Lemasson: "Sucre et Secret"

Télérama. Michèle Gazier : "Les ombres de Rosebud"

Gala. Laurence Vidal : "Trois semaines pour vivre"

Le Monde des Livres. Jean-Noël Pancrazi : "Dans le couloir de la mort"

L'Express. Michel Grisolla : "Paule et la Virginie"

Journal du dimanche. Marie-Laure Delorme : "Paule Constant, Sucré-Salé"

La Croix. Nathalie Cran : "Sucre et secret, de Paule Constant"

Aujourd'hui - Le Parisien. Christine Arnoty : "Le sans-faute de Paule Constant"

La Marseillaise. Josefa Martinez : "Le Sud contre le Nord"

Lire. Jean-Pierre Tison : "Les riches sont-ils coupables ?"

Le journal des Français à l'étranger. Betty Ruby: "Forêts de la mort en Virginie"

Ecrits...vains? Brigit Bontour :"Criminels secrets"

Terre de femmes. Angèle Paoli :"Paule Constant/Les couloirs de la mort"

 

 


Magazine littéraire, février 2003

"Sucre et Secret", de Paule Constant

Il est un art du titre. Celui du dernier roman de Paule Constant Sucre et secret est une véritable trouvaille, à la fois prélude et mise en abyme du roman qu'il annonce. Sa consonnance mystérieuse, sa sensualité, son parfum de secret éveillent un désir impérieux : celui de découvrir ce qui se cache au détour de ces deux mots dont la douceur a quelque chose de ces sucres d'orge de l'enfance. « Sweet and secret » : sésame qui ouvre les portes d'un monde binaire dont la romancière possède toutes les clés. Labyrinthe prodigieux que ce roman dans lequel le lecteur s'engage avec délice, certain que rien ici n'est laissé au hasard.
Tout commence comme dans un rêve. Un conte de fées. Mais les rêves sont trompeurs. Imaginez plutôt : une université de jeunes filles plus brillantes et ravissantes les unes que les autres quelque part au fin fond de l'Etat de Virginie dans ce pays de tous les rêves : l'Amérique. Une maison de verre qui compte parmi ses élèves les plus riches héritières du Sud. Un univers concentrationnaire où seule la perfection a droit de cité. A Rosebud, véritable temple dédié à la Beauté, les étudiantes s'initient à la création littéraire dans un cadre aussi paradisiaque que mortifère. Un bien étrange pays où les jeunes filles ont des visages d'anges, des noms de bonbons et des mœurs étonnantes...
A quelques miles de là, un jeune homme croupit dans les couloirs de la mort depuis neuf ans. Le motif de son incarcération a de quoi faire frémir. David Dennis aurait violé, mutilé et tué une jeune fille de dix-sept ans étudiante à Rosebud. Candice avait tout pour elle. Lui n'avait rien. Pas de père, pas d'argent, pas de diplôme, pas de réseau. On ne connaîtra jamais le fin mot de l'histoire. Le jeune homme qui avait une liaison avec la victime n'aura de cesse de clamer son innocence. L'on saura juste que, contrairement aux apparences, Candice n'avait rien d'une oie blanche et que la drogue était au cœur de l'affaire.
Sucre et secret est un conte cruel. L'histoire d'un Yankee amoureux d'une jeune fille modèle. Une idylle condamnée d'avance comme une incompatibilité notoire entre le Sud et le Nord, l'opulence ostentatoire et le manque d'argent. Le procès de David sera entièrement truqué. La peine capitale requise. Moralité : on ne gagne pas contre une Amérique puritaine, hypocrite et arrogante. Sous un titre exquis, Paule Constant signe un réquisitoire sans ambages contre la peine de mort. Un sujet poignant traité avec une force de conviction peu commune, une sensibilité à fleur de peau, un sens de la mise en scène aigu, le tout transcendé par une écriture lumineuse.
Mignardise douce amère, Sucre et secret se dévore comme un thriller aux enjeux littéraires. Qui est « la femme en noir » coutumière des exécutions publiques qui revient comme une obsession tout au long du récit ? Qui est véritablement l'auteur de cette histoire terrifiante ? Aurore Amer écrivain invitée à l'université de Rosebud en charge du dossier de David ? Ou bien Martha la mère du condamné ? Ou encore Rosario la bibliothécaire ?
Paule Constant brouille les cartes dans ce roman qui lève un coin de voile sur les coulisses de l'écriture. Par le biais du personnage d'Aurore, la romancière révèle d'autres secrets plus intimes : la naissance d'un sujet, la manière dont un auteur tisse les fils de la réalité et de la fiction, le sentiment final de dépossession. A l'issue de ce voyage dans les coulisses de la mort et de la création, Paule Constant aurait pu écrire ces mots que Flaubert n'aurait pas reniés : la femme en noir c'est moi.

Alexandra Lemasson

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Télérama

Les ombres de Rosebud.

Sucre et secret (Gallimard). Paule Constant instruit avec brio le procès de la peine de mort aux Etats-Unis.

Sans doute fallait-il à Paule Constant ces cinq années qui la séparent de Confidence pour confidence, son prix Goncourt, pour reprendre son souffle et son chemin en littérature. On se souvient avec émotion de son premier roman, Ouregano, paru en 1980, de sa manière d'écrire l'Afrique et l'enfance, l’ailleurs dans tous ses états. Sensuelle, violente, ironique, son écriture avait fait merveille. On pouvait cependant se demander si elle n'avait pas exploré un territoire jusqu’au bout, si elle n'avait pas fait le tour de son champ romanesque. Et si, désormais, elle ne risquait pas de tourner en rond... Mais la voilà qui resurgit dans un tout autre registre ; plus austère en apparence, mais aussi plus profond, s'intéressant au-delà du destin de ses personnages à une histoire sociale et politique qu'elle aborde avec le charme de son style ferme et précis, la rigueur de ses analyses d'universitaire.
La narratrice de Sucre et secret est écrivain et française. Elle est reçue dans une université américaine, Rosebud, pour y animer un atelier d'écriture. Là, des jeunes gens bien sous tous rapports étudient harmonieusement et vivent en marge de la société laborieuse. Ils appartiennent au meilleur monde, et rien de mal ne peut ni ne doit leur arriver. Oui, mais voilà, une jeune fille de Rosebud a été sauvagement assassinée, violée et mutilée, il y a quelques dix ans. Le présumé coupable, un ange de blondeur qui s'était infiltré à Rosebud sans y être étudiant avait séduit ladite jeune fille. Il était son amant. Il va être exécuté. Le juge de la ville, ami des parents de la victime, s'est montré intraitable. Le condamné a-t-il ou non tué la jeune fille ? Aux yeux de la société de Rosebud, il est forcément coupable puisqu'il est étranger. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit innocent... La narratrice est fascinée par l'histoire du condamné. Elle le visite dans sa prison et, séduite, bouleversée, elle va rencontrer la mère de ce jeune homme, vivre à ses côtés, dépouiller et étudier les pièces du dossier. Sucre et secret est un livre puissant, dérangeant, construit en abyme. La question qu'y pose Paule Constant n'est pas celle que se posent tous les protagonistes du drame et qui touche à la culpabilité du condamné. Le problème, nous dit-elle au creux d'un récit construit comme une enquête, n'est pas en effet de savoir s'il est ou non l'assassin de la fille - rien du reste dans ce qu'elle nous révèle ne nous permet de trancher -, mais de réfuter tous les arguments avancés. Arguments du juge, des jurés et de la société de Rosebud qui diabolisent le condamné - un divorcé fauché, venu d'ailleurs - et qui angélisent la victime - une pure jeune fille sauvagement mutilée. La réalité semble moins noire et moins blanche. Le garçon avait du charme et la fille moins de vertu qu'on ne veut bien lui prêter.
Arguments de la mère du condamné qui, à bout de ressources, cède à la publicité. Une journaliste noire, véritable star du petit écran, prend le destin de son fils en main. Elle fait rouvrir le dossier. Par compassion ? Non, nous dit la narratrice, pour améliorer son image, ajouter à ses qualités de beauté, d'intelligence, de mérite et de célébrité celle d'héroïsme. Seule contre tous avec l'innocent condamné. De son écriture dévorante, Paule Constant fouille les entrailles de cette affaire avec une justesse sans faille. Rien n'échappe à son analyse sans complaisance. Elle nous embarque dans un récit parfaitement maîtrisé et nous oblige à la suivre dans sa démonstration implacable. Car, au-delà du procès d'un homme coupable ou non coupable, c'est celui de la peine de mort aux Etats-Unis qu'elle instruit dans cette éblouissante chronique d'une mort programmée.

Michèle Gazier

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Gala, 1er janvier 2003

Trois semaines pour vivre.

Qu'une romancière française en visite aux Etats-Unis rencontre un condamné à mort en sursis, qu'elle soupçonne son innocence et c'est le début du cauchemar. Un roman âpre et fort.

Elle voulait écrire le roman d'une femme qui, dans un motel, maquille de bleu le regard qu'elle destine à la mort, une femme qui s'apprête pour une cérémonie barbare : l'exécution du condamné.
Hantée par le bizarre et l'enfermement, Paule Constant, prix Goncourt 1998, la narratrice de Sucre et secret, séjourne aux Etats-Unis, « l'un des derniers pays civilisés à pratiquer la peine de mort ». Elle est l'invitée de Rosebud (Etat de Virginie), université pour riches héritières sudistes. Or voici que le juge local lui propose de rencontrer dans sa prison de Greensleaves un condamné véritable qui n'a plus que trois semaines à vivre... « Sans l'angoisse qu'avait provoquée en moi la visite de Rosebud, univers concentrationnaire consacré à la beauté, je ne serais jamais allée à Greensleaves, commente la romancière rétive aux perfections trompe-l'œil, et je n'aurais jamais rencontré David Dennis. » Dennis, violeur, bourreau et meurtrier de la candide Candice, pervers sexuel et manipulateur capable de retourner la narratrice elle-même ? Ou bien Dennis bouc émissaire, étudiant étranger coupable d'avoir séduit une « vraie jeune fille » du cru un peu trop libre de son corps, garçon du Nord pauvre et charmeur condamné en lieu et place de trois fils à papa locaux dont l'alcool et la drogue auraient, l'espace d'une nuit, excité l'esprit de revanche et la folie sanguinaire ? Au gré des découvertes de la narratrice, l'opinion du lecteur se fait. Pas une erreur judiciaire, non. Un complot. Le traquenard d'une société sudiste unie contre l'ennemi yankee.
Reste le pire à affronter, dont Paule Constant nous parle avec une douleur contagieuse : le compte à rebours partagé avec la mère du condamné, trois semaines d'un temps disloqué qui oscille entre le doute, l'hébétude, la folle terreur et l'espoir d'un recours improbable... A l'opposé de ce que le titre suggère, point de guimauve ici, ni d'effets de manches. La phrase sobre, le geste économe, Sucre et secret est un livre fort, comme on le dit d'un alcool, un récit puissant qui révolte, broie le ventre et désespère.

Sucre et secret, de Paule Constant, Gallimard.

Laurence Vidal

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Le Monde des livres, 31 janvier 2003


Dans le couloir de la mort


Paule Constant décrit le combat de trois femmes pour un homme qui attend son exécution. Une plongée lente et anxieuse vers une fin inexorable, une « réalité irrésistible ». Apparemment, nous ne sommes pas loin, dans « Sucre et Secret », de l'univers de « Confidence pour confidence » où Paule Constant réunissait, dans une maison fermée électroniquement, au Kansas, quatre femmes qui s'affrontent plus ou moins comme sur un ring climatisé. Même monde clos ici : celui de l'université de Rosebud, dans le sud des Etats-Unis, réservée aux riches héritières « des énormes porcheries de Caroline du Nord, des immenses poulaillers de Virginie ».
Paule Constant décrit admirablement, avec une sorte d'ironie fascinée, de férocité feutrée, de stupeur feinte, d'autant plus cruelle, cette société universitaire, isolée, autarcique, et sans doute profondément dépressive, qui ne se donne en spectacle qu'à elle-même, aime entendre sonner ses noms et ses fonctions, ne s'exprime que doucement, lentement « dans un bruit soyeux qui ne dérange pas », privilégie les cours de création, semble adorer les écrivains-invités qui se succèdent pour féconder le silence : chaque étudiante croit qu'il suffit de s'allonger le soir, sur un ponton, face au lac parfait, pour en voir surgir des images et devenir Virginia Woolf.
La narratrice, elle-même écrivain-associé, a l'intention d'écrire l'histoire d'une femme qui se maquille l'œil avant d'assister à une exécution, en pensant au dernier regard du condamné à mort qui croiserait le sien : tout son projet est dans cette prunelle, bordée de bleu électrique. Mais - et c'est tout le mouvement du livre - ce désir de fiction, ce besoin d'imaginer va peu à peu s'effacer, comme un feu meurt sous un autre feu, devant une « réalité irrésistible » à laquelle elle n'aura rien à opposer : celle de David Dennis qui attend, depuis neuf ans, dans le couloir de la mort de la prison de Greensleaves pour avoir tué et mutilé (peut-être) Candice, une jeune fille de Rosebud.
La narratrice veut le voir, lui parler. Ce dialogue de quelques minutes à travers une paroi de plexiglas sera le tournant de sa vie. Car elle a une sorte de coup de foudre pour le jeune homme « d’un charme non pas conquérant, mais retenu, inquiet, comme intimidé », qui cite Whitman, qui, seul, pauvre, abandonné par son avocat, ne se bat plus qu'en marge, sur des détails, des motifs d’annulation.
MANIPULATION
La peur de la narratrice se transforme en pitié, son appréhension en amour. Ce qui est très beau, c'est sa sécession, presque invisible d'abord, avec la norme, le monde de Rosebud qu'elle ressent comme un piège pour elle aussi, « étrangère, marginale », l’oubli progressif de sa propre vie, son empathie avec le condamné. Elle se persuade elle-même de son innocence. Le ton devient alors celui, abrupt, dur, de la reconstitution implacable, de la défense impitoyable. Et cette détermination dans l'enquête impressionne. Car Paule Constant démonte, un à un, tous les rouages de la « culpabilité désignée et programmée », tous les arrangements du faux procès « de cristal et de marbre », tous les éléments de manipulation de la société de Rosebud qui s'est serré les coudes pour protéger trois de ses héritiers, Anthony, Buddy et Harry qui, ivres et drogués, rêvant d’un festin cannibale au sein de la société chic de la fraternité sont, à ses yeux, les vrais coupables du meurtre : nous sommes plutôt, quand Paule Constant écrit sa propre version de la nuit fanatique, dans Sucre et Secret. Elle va plus loin encore quand elle voit dans cette entreprise de falsification judiciaire une vengeance du Sud qui, « persistant, immortel, indomptable », en sécession de l’Amérique et n'ayant jamais vraiment accepté sa défaite, a voulu punir en David le jeune Yankee démuni, venant de New York. Elle est contre le Sud, mais à côté, avec les femmes, ces femmes « au Golgotha » (la mère de David et Rosario, la bibliothécaire qui l'a jadis aidé) qu'elle rejoint dans un motel où elles ont trouvé refuge à la frontière. Le livre devient le récit tendu, émouvant, de son séjour auprès de ces deux femmes, toujours en état d'alerte, mises à mal, en deuil au fond depuis dix ans, qui ont beaucoup bourlingué, survécu grâce à des conférences données dans des églises devant un public venu voir « la mère du condamné à mort » avant qu'elle ne blanchisse l'argent de Dieu dans les machines à sous des casinos du Nord.
Paule Constant suit jour après jour les gestes, les interrogations de ce trio de femmes de plus en plus soudées qui - même si elles ne sont plus vraiment seules à combattre dans l'ombre depuis qu'elles sont soutenues par Heather Heath, la célèbre journaliste noire qui a décidé d'offrir l'affaire au monde entier - vivent dans une anxiété irréelle. Un temps singulier, où à cause de l'espérance d'une contre-autopsie de la dernière heure, elles déprogramment sans cesse inconsciemment l'heure de la mort tout en regardant, effarées, l'almanach assassin des pots de yaourt - la durée de validité dépassant parfois la durée de vie accordée à David... Paule Constant rend merveilleusement sensible ce temps grâce à l'observation à la fois ouatée et précise du quotidien (qui, d'ailleurs, semble ne plus exister) à la fièvre comme suspendue, à l'urgence brumeuse de la phrase et de son rythme. C'est à une logique de rêve noir, très lointain, que semblent obéir les dernières pages quand, après que la grâce a été refusée, des milliers de femmes, une bougie à la main, convergent vers Greensleaves, illuminé comme un vaisseau spatial. Après l'injection mortelle, la narratrice se sent comme un « débris oublié par la mer », définitivement étrangère à son corps, à sa vie ; elle n'est plus qu'une autre condamnée en attente avec son vide, cet immense manque de femmes, d’écrivains, qui sait qu'elle ne peut pas passer son temps à vouloir se « débarrasser du réel », à se réfugier dans1e Sucre et le secret. Et ce livre, à la fois raffiné et sincère, rigoureux et partial, exact et enflammé, se révèle être le plus intime de Paule Constant.

Jean-Noël Pancrazi

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L’Express, 22 janvier 2003

Paule et la Virginie.
Suspense en littérature.


A travers la condamnation à mort d'un innocent, Paule Constant fait le procès d'une certaine société américaine et de ses clans.
Au départ, un fait divers. Voici dix ans qu'un jeune New-Yorkais, David Dennis, clame son innocence du crime dont on l'accuse : le viol suivi de tortures et du meurtre, en Virginie, d'une riche étudiante. Il n'a qu’un tort, Dennis, c'est d'être un marginal, divorcé (!), sans argent, étranger à ce Sud aussi chic que réac ; le coupable idéal, en somme. Les trois véritables assassins, eux, sont aisés, natifs du cru, assistés des meilleurs avocats ; aujourd'hui, ces ex-étudiants en jeans sont devenus des cols blancs. Le secret atroce qui les lie doit, bien sûr, rester secret : la cohésion de toute une société en dépend.
Et puis voici Aurore. Aurore Amer, beau nom pour une romancière. Cette écrivaine et prof de lettres française est confrontée au cas David Dennis. Un cas d'urgence. Après un an de procédure et neuf ans passés dans le "couloir de la mort", Dennis sera exécuté dans trois semaines. Reprenant les faits, Aurore se rend compte qu'on la manipule : ce qu'attend d'elle l'université, c'est qu'elle témoigne à charge, par écrit, contre le condamné. Afin d'allumer un contre-feu aux travaux d'investigation d'une journaliste de télévision persuadée de l'innocence du détenu. Travaux qui pourraient, in extremis, le blanchir.
« Écrire c'est se débarrasser du réel ».
La rencontre d'Aurore et du prisonnier comme l’enchantement qui s'ensuit ont des conséquences : sûre, elle aussi, de son innocence, elle fera tout pour le sauver ; aidée par la mère de Dennis et une bibliothécaire qui s'est, elle aussi, attachée à lui. « Ecrire, c'est se débarrasser du réel », proclame, à travers Aurore, Paule Constant. La réalité prend parfois tant de place qu'elle empêche l'écriture : ainsi, Aurore n'écrira pas à chaud sur l'affaire. Plus tard, dans le ressouvenir; elle livrera ce beau roman implacable, qui vous prend par la main dès ses premières lignes et par sa douceur de fer, et ne vous lâchera plus. D'un style à la fois souple, tendu lorsqu'il le faut, sensuel et sec si nécessaire, le livre fête les noces, trop souvent contrariées par les fabricants de best sellers, du suspense et de la littérature. Son auteur obtint, en 1990, le Grand Prix de l'Académie française pour White Spirit et, en 1998, le Goncourt avec Confidence pour confidence. On n’a qu'une envie : les lui voir décerner à nouveau pour Sucre et secret.

Michel Grisolla.

"Sucre et Secret", par Paule Constant. Gallimard.

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Journal du dimanche, 26 janvier 2003


Paule Constant, sucré-salé


C’est un roman sur l'enfermement. Et l'on comprendra à la toute fin, dans la brutalité du clap final, où réside la liberté. Seul le prisonnier David Dennis, maintenu dans le couloir de la mort de Greensleaves depuis neuf ans, ne possède pas de barreaux dans la tête. Paule Constant, prix Goncourt 1998 pour Confidence pour confidence, raconte les certitudes et les clichés. La paix des consciences. Sucre et secret dépeint une société cadenassée. La romancière dresse, à travers la haute société de Virginie, le portrait d’une certaine Amérique. Le sucre (la niaiserie, la blondeur et le sourire, la bonne éducation) dissimule le secret (le sexe, la violence et le racisme, la morgue des bien-nés). Le livre, en partie autobiographique, apparaît aussi comme un plaidoyer contre la peine de mort.
La narratrice arrive en Caroline du Sud pour occuper un poste d’écrivain-associé à Rosebud. C’est une des plus prestigieuses universités de filles de Virginie. Elle désire écrire un livre sur une femme qui se maquille avant d’assister à une exécution. Le rituel de la mort. Le juge Edward lui conseille, lors d’une réunion mondaine, de rencontrer David Dennis. Ce dernier, accusé de viol, meurtre et actes de barbarie sur une étudiante de Rosebud âgée de 17 ans, doit être exécuté dans trois semaines. La narratrice lui rend visite dans sa prison de Virginie. Elle acquiert la certitude de son innocence. Son combat pour un ultime sursaut de la justice commence. Elle va s’installer, en compagnie de deux autres femmes, dans un motel donnant sur une plage.
Ils sont tous en prison. Enfermés dans leurs obsessions, leurs silences, leurs angoisses, leurs combats. David Dennis cristallise les sentiments les plus divers. Il semble sans aucune attache. Il est, comme toujours les personnes auxquelles on ne peut accoler aucun adjectif fixe, la proie des fantasmes. Il ne vient pas du Sud. Il ne possède pas suffisamment d’argent pour assurer sa défense. Il refuse de passer des compromis sur la question de son innocence. La scène où la narratrice nage dans l’océan et se laisse emporter par le courant, de révèle prégnante. L’hôte devient à peine visible. La plage est déserte. L’incertitude tenaille. Elle connaît alors la vraie peur. Le vide, le doute, le tournis. Le choix de la liberté contre celui de la société. Elle rebrousse chemin.
Sucre et secret parle aussi des risques propres à la littérature. « Ecrire, c’est se débarrasser du réel ». La narratrice, double de Paule Constant, se retrouve confrontée à la réalité envahissante. Elle touche du doigt ses propres limites. Le non-détachement, la combat pour une cause, la colère sous la plume. Le livre est ainsi fait d’absences. De tout ce qu’il ne contient pas. De tout ce qu’il n’avoue pas. La dernière phrase, sous le manque de contrôle et la perte d’identité, éclaire l’histoire d’un jour nouveau. L’auteur de White Spirit (Gallimard, 1989) a écrit un roman semblable à un long état de choc. Style nerveux et rythme court. Il y a de la frayeur et de la brutalité. Sucre et secret tourne, comme les livres précédents, autour du thème de l’étouffement. Mais ici, sans un bruit, la réalité semble s’être vengée.

Sucre et secret, de Paule Constant (Gallimard)

Marie-Laure Delorme

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La Croix, 2 janvier 2003

"Sucre et secret", de Paule Constant.

Ses romans antérieurs l'ont prouvé - celui-ci est le huitième -, Paule Constant n’a pas peur du noir. Non plus que du désordre, de la violence, de la cruauté. Ou, si peur il y a, il s’agit pour elle de la conjurer. En la regardant en face. En lui donnant par l’écriture, un nom, et même plus que cela : une matérialité, une forme d’incarnation. De peur, de cruauté, de violence, de désordre des âmes et des corps, il est une nouvelle fois question dans Sucre et secret, récit palpitant et tragique, hanté par les thèmes de la mort et de la féminité emmêlés, fermement ancré dans l’Amérique contemporaine, et auquel la romancière parvient cependant à donner une dimension quasi mythologique. Lorsqu’elle arrive en Virginie, la narratrice de Sucre et secret, une romancière française invitée à intervenir à l’université très privée de Rosebud, a en tête l’image qui devrait constituer le germe d’un ouvrage : une femme qui, devant son miroir, souligne ses yeux de bleu avant d’assister à une exécution capitale. Cette héroïne tout juste esquissée va rapidement s’évanouir, et c'est la narratrice elle-même qui prendra, en quelque sorte, sa place : marcher dans le couloir de la mort de la prison d’Etat, rencontrer le condamné, épouser sa cause au mépris des risques encourus.
Le jeune homme, venu du nord du pays, est accusé d’avoir torturé et assassiné une très jeune étudiante de Rosebud. Est-il innocent ou coupable ? On ne sortira pas de la lecture avec une vraie certitude, mais là n’est pas vraiment le sujet de Sucre et secret. Ce qui est ici en jeu, derrière le tableau saisissant et angoissant du Sud – dépeint comme un monde pathologiquement clos sur lui-même et dont la façade polissée dissimule une propension dramatique et intensément refoulée à la brutalité la plus extrême, à l’autodestruction - c’est la dimension incroyablement sauvage du décret de mort posé à l’en contre d’un individu par une société autoproclamée pure. Ce qui est en jeu, c’est le caractère insoutenable de cette violence au regard des femmes : victimes, ou simples passantes, comme unies par Paule Constant dans un chœur déchirant.

Nathalie Cran.

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Aujourd’hui – Le Parisien, 29 janvier 2003.

Le sans-faute de Paule Constant


Il y a quelque temps, le gouverneur de l’Illinois a gracié quarante-sept condamnés à mort. Avant de quitter ses fonctions, l’homme tout-puissant a déclaré que sa conscience ne lui permettait pas d’admettre le doute : et s’il y avait des innocents parmi ceux qui attendent dans le couloir de la mort ?
Nous sommes dans le vif du sujet de « Sucre et Secret », le nouveau roman de Paule Constant. Aurore, une écrivaine, est invitée en Virginie, dans une université chic, Rosebud. Pour être précise dans son récit, elle vient faire une enquête sur les couloirs de la mort. Invitée chez le président des juges de Virginie pour une soirée, elle a l’impression d’être sur une autre planète. Dans ce milieu riche, aseptisé, loin apparemment des brutalités quotidiennes, on parle de la mort de manière neutre. Aurore est l’objet d’une certaine curiosité. Ne vient-elle pas d’un tout petit pays, la France, si proche de l’Italie ? Ah l’Italie, si romantique !
Lors de cette soirée, elle apprend qu’un nommé David Dennis sera bientôt exécuté. Cet étudiant blanc est accusé d’avoir torturé, violé et assassiné une jeune fille réputée pour sa vie sage. Une de ces belles de Virginie qu’on désigne fièrement comme « sweet and secret ». Sont-elles vraiment si douces et si secrètes ? Le juge Edward obtient pour l’écrivaine une rencontre avec le condamné. Elle rend visite à Dennis.
L’homme, spontané et séduisant, est étonné qu’on s’intéresse à sa vie, ou à ce qu’il en reste. L’entrevue est fatale pour Aurore. Désespérée et révoltée, elle étudie le dossier qu'on met à sa disposition. L’évocation du procès est hallucinante. « L’avocat commis d’office n’avait jamais cru à l’innocence de son client, il faisait de la figuration ».
L’essentiel du roman est à découvrir d’une ligne à l’autre. La vérité. Dennis est un maladroit qui paiera de sa vie ses imprudences, ses folies. Paule Constant nous raconte une histoire qui pourrait arriver à n’importe quelle jeune file ou n’importe quel fis « de bonne famille ». Le sujet est original, l’écriture est aussi élégante qu’efficace. Et c'est une jeune femme noire qui défendra un présumé criminel blanc. Qui dit mieux ?

Christine Arnoty.

« Sucre et Secret », Editions Gallimard.

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La Marseillaise, 2 février 2003.

« SUCRE ET SECRET», de Paule Constant

LE SUD CONTRE LE NORD

Les Etats-Unis. La peine de mort. Le Nord et le Sud. Le travail de romancier. Voici les éléments essentiels de ce neuvième roman de Paule Constant.

La narratrice, romancière qui n’est pas sans rappeler Aurore Amer du précédent roman de Paule Constant Confidence pour confidence est en Virginie. Invitée de Rosebud, un collège de jeunes filles de bonnes familles. Au cours d'une soirée chez le Juge Edward, elle parle du personnage qui trotte alors dans son esprit: une femme qui se maquille avant d'assister à une exécution. Pour le juge, le raccourci est vite trouvé. Persuadé qu'elle veut raconter l'histoire de David Dennis, il lui propose d'aller le rencontrer...
David Dennis hante le couloir de la mort depuis bientôt dix ans. Il a été accusé du meurtre et de viol de la jeune Candice. David vient d'un état du Nord. Il est pauvre. Divorcé. Bref, il est le coupable idéal. Celui qui permettra de ne pas aller regarder trop loin du côté des étudiants masculins du collège de Stone. Tous issu de la bonne société de Virginie.
La guerre Sud-Nord continue. Sous une autre forme. Avec d'autres noms.
David Dennis clame son innocence. La narratrice le croit. Et voilà que la réalité lui colle aux basques, entravant son propre travail de romancière. Elle oublie Rosebud où elle était sensée enseigner l’écriture aux jeunes filles de bonnes familles. La femme qui se maquille pour assister à l'exécution se dérobe, la fuit. El1e-même n'a plus qu'une obsession : l'innocence de David Dennis. Alors elle rejoint la mère de jeune homme. Une mère qui se croit coupable de ce que son fils est devenu. Croit-el1e d'ailleurs à son innocence ? Le lecteur aura du mal à savoir. Heureusement, il y a Rosario. Bibliothécaire à Stone, elle, est persuadée de l'innocence de Dennis. Pour elle le Sud se venge une fois de plus de 1'humiliation infligée par le Nord...
Une fois de plus, et comme dans Confidence pour confidence on se retrouve vite enfermé dans un huis clos où trois femmes ensemble souffrent dans leur solitude. La mère rongée par sa culpabilité. Rosario enfermée dans son obsession de faire innocenter Dennis. Et la narratrice qui prisonnière de la réalité n'est plus en mesure de créer. Une incapacité troublante, puisqu'une des dernières scènes du roman voit la romancière devenir son propre personnage...
Paule Constant nous offre une fois de plus un remarquable roman. Sans fioriture, sans sensiblerie inutile, elle nous entraîne au plus profond des êtres qu’elle nous décrit, nous faisant sombrer avec eux au fond de leurs dilemmes.

Joséfa Martinez
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Lire, février 2003

Les riches sont-ils coupables ?

Nullement amollie par le confort du Goncourt, Paule Constant nous revient avec un mordant redoublé. Son neuvième roman part d'un fait divers: dans une université de Virginie réservée aux très riches héritières, une étudiante de dix-sept ans a été violée, torturée et assassinée. On arrête un suspect, un étudiant yankee, sans le sou, qui n'avait pas sa place parmi cette jeunesse dorée. L'intrus est condamné à la peine capitale. A la suite de nombreux recours, il passe neuf ans dans le couloir de la mort. Très peu de temps avant son exécution, une Française, nouvellement engagée comme «écrivain associé» dans cette université, apprend l'affaire, y flaire une erreur judiciaire, décide de se battre pour que la justice triomphe. Avec l'aide de deux femmes, dont la mère du condamné, elle montre que l'enquête a été bâclée. Elle raconte son combat dans un récit intitulé Sucre et secret.
D'emblée, la narratrice voit dans les notables qui l'accueillent des conjurés capables de la plus criminelle machination pour sauver les vrais coupables, des fils de famille. A peine apprend-elle l'affaire qu'elle est acquise à l'accusé. A peine a-t-elle vu ce dernier que la voilà conquise. Quel «charisme» elle lui trouve! Quel «charme»! «De part et d'autre de la vitre, une minute ou deux, nous fûmes enchantés l'un par l'autre. En tout cas, pour moi, cela tenait du ravissement.» Cela va même jusqu'à «l'exaltation parce qu'il était très beau, très intelligent».
Se produit alors une illumination proprement durassienne: «Je savais qu'il était innocent, cette certitude ne s'analyse pas, ne se plaide pas. Elle est de l'ordre de la révélation.» La défense tourne à la défonce. La narratrice se grise de justice. Et s'empoisonne. Si elle avait fait partie du jury, son «intime conviction» eût peut-être empêché un assassinat légal. Mais les lecteurs ne sont pas des jurés. Pour emporter leur adhésion on doit savoir tempérer sa défiance, à l'égard des «riches» en l'occurrence. Il faut un sacré talent - celui de Paule Constant - pour montrer comment, face à un jugement inique, des préjugés desservent la cause de la vérité.

Jean-Pierre Tison

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Le journal des Français à l'étranger, 4 avril 2003

Forêts de la mort en Virginie

Betty Ruby

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Ecrits...vains? , 14 juin 2003

Criminels secrets

Brigit Bontour

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Terre de femmes, 8 février 2005

Les couloirs de la mort

Pour le lecteur qui n’aurait pas le palais sucré, ce titre pourrait être dissuasif. Pourtant, par sa concision et par son étrange balancement, le titre, encore plus suave en anglais (« sweet and secret »), invite à dépasser ce goût de bonbon à la fraise qui emplit la bouche. Très vite, dès les premières pages, fond l’idée même de sucre candi qui roule sous la langue et crisse sous les dents. Le goût de sucre d’orge se change en goût de sperme et de sang. Le titre du roman surgit brutalement au cœur de l’intrigue et saisit le lecteur à la gorge et à l’estomac : « sexe et secret » (titre initial du roman, comme Paule Constant a eu l’occasion de le dire sur les ondes). Ce sont là les deux maîtres mots du récit, les deux ingrédients véritables autour desquels se construit ce roman magistral, écrit et composé à partir de faits authentiques : la condamnation à mort, aux États-Unis, d’un jeune homme accusé d’avoir violé, tué Candice, son amie, et d’avoir commis sur sa personne des actes de barbarie. Pour la narratrice, convaincue de l’innocence de celui qui va être exécuté, après dix ans d’incarcération, David Dennis a été l’objet d’une machination. Elle va tenter d’en dénouer les rouages et d’en révéler le secret.
Mené avec maestria, ce récit, qui milite en faveur de l’abolition de la peine de mort, dénonce également les complots et les enjeux de pouvoir des autorités, universitaires et magistrats de l’État de Virginie, qui ont intérêt à étouffer la vérité de cette sordide affaire. Autant dire que le combat, engagé par l’écriture de ce roman et par sa publication, se poursuit. Mieux, il commence.

Paule Constant, "Sucre et secret", Gallimard, Collection blanche, 2003.

Angèle Paoli

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