LE GRAND GHÂPAL
Presse

Le Quotidien. Alain Bosquet : "Paule Constant : sortilèges et maléfices"

Le Provençal-Dimanche. Jean Contrucci: "Le Grand Ghâpal, de Paule Constant"

Le Monde. Jean-Noël Pancrazi: "Le goût du bonheur"

Le Progrès de Lyon. Yves Granger : "Etonnante Paule Constant"

La Provence. Jean-Rémi Barland : "PC, du bon usage de l'éducation des jeunes filles"

 



Le Quotidien, 30 octobre 1991

Chronique

Paule Constant : sortilèges et maléfices

Dans les trois premiers romans de Paule Constant, il y avait beaucoup d'enfants qui évoluaient entre le réel et les fantasmes. Dans Ouregano, en 1980, la petite Tiffany essayait de comprendre, au cœur d’une Afrique à la fois merveilleuse et effrayante, l'opéra et la tragédie-bouffe des adultes. Propriété privée, l'année suivante, présentait la même Tiffany aux prises avec les hésitations et les caprices des premiers raisonnements. Les merveilles y faisaient quelquefois place aux cruautés. En 1983, un jeune garçon, Balta, toujours sur le continent noir, subissait le choc des cultures. Paule Constant donnait aussi à son langage son identité inimitable : un récit qui intégrait dans la même phrase un compte rendu des événements et les paroles prononcées par les divers personnages, l'ensemble étant bercé par une musique baroque et percutante. White Spirit, après un intervalle de six années, offrait de l'Afrique un tableau où le tangible et l'intangible se mariaient avec naturel en une mélopée qui ne faisait pas la différence entre l'imaginaire et le vérifiable : de bien jolies syncopes.
Le Grand Ghâpal quitte ces rivages lointains et fabuleux pour une fable des « Mille et Une Nuits » à la façon des écrivains français - mais les Allemands et les Anglais de l'époque avaient pris les mêmes habitudes - du XVIIIe siècle. Ce que nous conte Paule Constant a tout de même des sentiments exquis, des discours châtiés - ou châtrés - des perruques et des audaces soigneusement camouflées. Comme nous sommes au théâtre, ou presque, le récit peut se composer de scènes et de saisons, afin de n'offusquer ni Goldoni ni Marivaux. Nous nous trouvons tantôt au château de C. ou au couvent désigné sous la même initiale. Emilie-Gabrielle est une gosse prétentieuse, grave et consciente de son rang. À 7 ans, elle dit à sa mère, qui est duchesse: « Je veux savoir, Madame, combien notre famille compte de papes. » Cette question, caractéristique, n’est nullement saugrenue : ladite famille possède dans son arbre des éminences nombreuses. Monstre précoce et adorable - ce n'est point contradictoire - Emilie-Gabrielle considère sa maman comme une roturière : donc comme une usurpatrice. Quant au père, qui aime guerroyer, elle se contente, de temps en temps, de lui dire: « Comment allez-vous, mon papa ? », et de s'entendre répondre, non sans courbette : « Comment allez-vous, mon ange ? »
L'enfant, à qui on n'ose rien refuser, obtient de se séparer de sa mère, de vivre à Paris auprès de sa tante qui est abbesse et de tirer la plume du chapeau de M. de Tancrède, qui jouera le rôle de l'éternel soupirant et soupireur. L'abbesse est une éducatrice sérieuse et appliquée. Il faut apprendre ce qui s'apprend selon les saines traditions, mais aussi mériter le Grand Ghâpal, un diamant magique qui ouvre les portes du paradis. La nièce et la tante ont des rapports de piété, de respect et de désir. C'est que les tourments de la chair viennent tôt à Emilie-Gabrielle. On le devine : Freud vole au secours de Sade et de Diderot. Il n'empêche que la jeune fille prononce ses vœux dès l'âge de 15 ans. Education religieuse, éducation sentimentale, éducation des sens ? Il n’y a aucune raison d'exclure les unes ou les autres. Tout serait plus simple si M. de Tancrède ne se répandait en serments et en gestes inconsidérés. On a beau se moquer de lui, sa présence est indispensable ou pour le moins divertissante. M. de Tancrède constate : « M'étant mis au service de 1’homme, je me trouvais aux genoux de la nièce », Emilie-Gabrielle se défend comme chez Corneille ou Shakespeare : « Je suis promise à Dieu et non à un homme ».
Ces assiduités, on s'en accommodera : « M. de Tancrède est une fraise avec du sucre. » On peut y goûter sans avoir à le digérer. En attendant, il chasse, gambade, galope, sautille et court ventre à terre, éperdu de passion. L'abbesse ne supporte pas ces agitations qui l'épuisent. Elle meurt, très jeune encore : ne serait-ce pas de jalousie ? Musset est dans 1a coulisse : l'amour est tellement plus tragique que le discours. Les obstacles levés, il convient d'en dresser d'autres. Entre en scène Julie, qui est l'incarnation de l'extase et de la diablerie. Elle complote, elle rend tout très confus, elle ne vit que de troubler ce qui paraissait clair. De blasphème en hérésie et de mensonge en faux suicide, cette fille perdue ne trouve pas la paix. Dieu a toujours raison : il a voulu éprouver Emilie-Gabnelle. Ainsi, le temps est venu de connaître les infinies délices de l'imaginaire et du surnaturel : elle est digne désormais de porter le Grand Ghâpal.
Ce livre est un bijou, une gourmandise, un sortilège. Ecrit avec verve et virtuosité, il nous enchante. L'abbé Prévost et Georges Bataille l'eussent aimé. Nous aussi, avec mille grâces.

Alain Bosquet.

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Le Provençal-Dimanche, 22 septembre 1991


« Le Grand Ghâpal » (Gallimard), par Paule Constant.

L'auteur de « White Spirit » a non seulement le goût du siècle des Lumières, elle en a aussi le style.


Le stylo de Paule Constant recèle au moins deux plumes. On s'en rend compte avec le dernier roman qu'elle publie chez Gallimard sous le titre Le grand Ghâpal, en complète rupture avec le ton d'Ouregano, Propriété privée ou, plus encore, White Spirit, qui peignait une Afrique colorée que l'auteur a bien connue. Mais ceux qui ont qui ont été fidèles depuis des années aux livres de cette aixoise, découvriront dans l'essai qu'elle a publié sous le titre Un monde à l'usage des demoiselles, sur l'éducation des filles au Siècle des Lumières, la matière première (si l'on ose dire) qui a nourri Le Grand Ghâpal. Vous ne savez pas ce qu'est le Grand Ghâpal ? C'est ce diamant fabuleux qui change de couleur et d'éclat selon la nature ou l'état d'esprit de celle qui le porte, c'est l'insigne mystique qui orne le sein des Abbesses de C. et que Saint-Hilaire donna à Sainte-Radegonde à la fondation du couvent de C. On raconte même qu’Alexandre-le-Grand rapporta cette pierre fabuleuse de Mésopotamie, et que la Vierge Marie la remit en mains propres aux pieds de la Croix à Sainte-Madeleine. Ce n'est pas rien le Grand Ghâpal. Il est digne de l'illustre maison de C. dont Emilie-Gabrielle (7 ans), qui écrit ses Mémoires (sic), affirme qu'elle a compté 600 martyrs, 530 saints et 12 papes (ou 25, on ne sait plus).
On l'aura compris : Paule Constant a choisi le deuxième degré teinté d'humour pour narrer d'une plume élégante l'histoire faussement édifiante d'Emilie-Gabrielle de C., future abbesse.
Son éducation a été confiée à sa tante, la jeune et belle Sophie-Victoire, abbesse en titre du couvent de C. dont les méthodes peu orthodoxes auraient été d'enthousiasme adoptées par les moines de l'Abbaye de Thélème, chère à Rabelais.
Pour la rendre digne de devenir le reliquaire vivant du Grand Ghâpal, il convient de faire l'éducation d'Emilie-Gabrielle, de manière à assurer son pouvoir sur la terre avant de lui retenir sa place au ciel. Pour le gagner, selon les principes éducatifs de la belle Abbesse, il convient de savoir de quoi est fait le monde d'ici-bas. Quel meilleur moyen de ne connaître à fond les tentations bien jolies qu'il renferme qu'en y succombant? Ainsi, la future Bienheureuse gagnera sa place au ciel en connaissance de cause. C'est pourquoi on trouve dans l'abbaye de C. une garde composée de jeunes et fringants gentilshommes, tous forts bien faits et d'un dévouement extrême aux jeunes religieuses. La formation du corps va de pair avec celle de l'esprit et du goût. L’Art d'aimer d'Ovide a priorité dans les rayons de la bibliothèque du couvent sur les sermons lénifiants de ce « gros bourgeois » de Bossuet qui terrifie les nobles en faisant une description horrible du corps supplicié de Jésus quand il vaudrait bien mieux en adorer la beauté. Sain principe. Mais vous savez comment sont les gens : envieux et mesquins, ils voient le mal partout. A peine la Coadjuteur a-t-il coiffé son chapeau de Cardinal qu'il met à exécution sa menace : ayant eu vent de l'inconduite des nonnes et de la présence derrière les hauts murs d'une enfant qu'on y élève dans la débauche, avec la complicité de la Prieure, son espionne, il fait donner contre le couvent un assaut au cours duquel la belle Abbesse perdra la vie en martyr.
De l'hiver à l'automne suivant nous aurons suivi les péripéties de ce divertissement dans le goût du XVIIIe siècle qui déroule ses élégances et ses grâces avec la complicité d'une plume légère et jubilatoire, pour qui c'est moins ce que l'on raconte qui compte que la manière dont on le fait. Sur ce plan-là, Le grand Ghâpal est une pleine réussite.

Jean Contrucci

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Le Monde. Vendredi 6 septembre 1991.

Le goût du bonheur
Un voyage de fête à travers le siècle des Lumières

LE GRAND GHÂPAL
de Paule Constant. Gallimard, 194 p.

Paule Constant a dû écrire Le Grand Ghâpal dans un état de jubilation. « Quand j'ouvre un livre, je ne veux pas que 1'on brode sur des motifs qui lassent, mais qu'il saute comme on traverse un ruisseau, de pierre en pierre, de ligne en ligne », demande Emilie-Gabrielle qui, à sept ans, écrit ses Mémoires. Pas une once de pesanteur, le roman file avec la « vivacité argent » de son héroïne, qui veut devenir abbesse, obtenir un jour le Grand Ghâpal, ce diamant sacré que se transmettent les abbesses du couvent de C.
Sa tante Sophie-Victoire, qui en est la dépositaire, le lui promet, se charge de la conduire vers la sainteté. Mais, grâce à l'ironie de Paule Constant, à son impertinence élégante, à la finesse avec laquelle elle transcrit le meilleur de l'esprit du dix-huitième, réconciliant l'esprit et les sens, jamais éducation ne fut plus voluptueuse, jamais montée vers l'angélisme n'emprunta des voies aussi charnelles.
Exhaler un parfum spécial - « c'est sous la peau que se prépare la beauté des filles » - se baigner, lire, mais plutôt l'Art d'aimer que les sermons de Bossuet, ce « gros bourgeois suffisant », se fortifier dans la joie par le rire, le chant et la danse, car « qui ne se sera pas balancé jusqu'au vertige ne s'abandonnera pas à l'amour » : tout un programme de bonheur, un bréviaire des plaisirs qu'Emilie-Gabrielle applique à la lettre. Elle en oublierait presque qu'elle est au service de Dieu. Il est vrai que sa tante, qui entretient un « commerce familier » avec Dieu le présente, comme un homme plus exigeant et parfait que les autres...
Cette première partie - le dialogue entre la fillette aux étonnements malins, à l'ingénuité perspicace, et Sophie-Victoire qui s'enchante de lui indiquer les exercices de volupté tout en raillant, avec une allégresse féroce, les tristesses des dépits et des renoncements des religieuses - est une merveille de grâce moqueuse, de sensualité badine, de préciosité intelligente.
Le goût du bonheur est, bien sûr, impardonnable. La coalition de la jalousie et de l'intolérance, menée par le coadjuteur, la prieure et le cardinal, s'emploie à le détruire : on prend d'assaut le couvent des délices. Paule Constant accélère le rythme, se lance dans une aventure de cape et d'épée chez les religieuses, retrace avec fougue cette guerre en robes, cette apocalypse de comédie où succombe Sophie-Victoire. Mais le désir de se montrer spirituelle l'emporte sur le regret de la vie : Sophie-Victoire trouve son agonie vraiment trop désordonnée... Son dernier mot fait des étincelles. Avec Paule Constant, il y en a toujours, même dans les ténèbres.
Mais voilà un autre personnage, sur lequel peut s'exercer la cruauté ravie, exquise de l'auteur : Julie, recueillie au château. Cette orpheline d'antan, devenue esclave de haute volée, trimballée de harem en maison princière, se désole de ne plus être vendue à la hausse... Son problème ? Bien que n'étant pas douée pour Dieu et plutôt révoltée que repentante, elle voudrait quand même se délivrer du péché. Quelle solution ? Le suicide. Mais là, on l'aide. « Jamais suicidée n'eut autant d'assassins. » Dans une sorte de théâtre noir, loufoque et grinçant, où se mêlent l'hérésie et le sacré, se déroulent d'étranges scènes de sorcellerie dans le boudoir.
C'est l'art de l'écrivain de donner le coup de levier final pour que cette aimable descente aux enfers permette l'assomption d'Emilie-Gabrielle vers la sainteté et la résurrection du pouvoir de la pierre de paradis, ce Grand Ghâpal qui a inspiré à Paule Constant son livre le plus brillant. On en revient heureux, comme d'un voyage de fête à travers le siècle des Lumières.

Jean-Noël Pancrazi

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Le Progrès de Lyon, 8 septembre 1991

Etonnante Paule Constant

Après White Spirit, voici Le Grand Ghâpal, toujours chez Gallimard, Paule Constant n'en finit pas de nous séduire. Après un White spirit assez peu conventionnel la voici qui se lance sur les chemins d'un nouvel exotisme, celui de la sainteté. Ce voyage au pays de la vertu laisse une étrange impression. Entre l'élan du cœur et celui du corps, les deux femmes se vouent un amour tellement grand qu'il fait bien un peu de l'ombre à Dieu.
Emilie-Gabrielle de C. cesse de téter les lèvres de sa nourrice le jour où elle rencontre sa jeune tante, Sophie-Victoire de C. Cette dernière, illustre abbesse, est la dépositaire du Grand Ghâpal, un diamant qui ne brille qu'auprès d'une sainte.
« Elles avançaient en se tenant par la main, les doigts liés comme les pétales d'une rose, attirant tous les yeux, subjuguant les regards. Les religieuses, s'agenouillant sur leur passage, faisaient le bruit de la mer et celui des vaisseaux, le bruit de la pluie sur les voiles et celui du soleil qui les sèche. »
L'abbesse dispense une conception très personnelle de la dévotion. Les hommes ont droit de cité dans cette abbaye mais leur rôle est plutôt transparent, d'ailleurs Emilie-Gabrielle les voit à peine. Evidemment, le cardinal fera fermer les portes de ce couvent qui fait scandale.
Cette quête spirituelle passe par le chant du corps. Ce psaume glorifie l'enveloppe charnelle pour mieux séduire un Dieu amateur de peau diaphane et de senteurs fragiles.
« Nous vous baignerons beaucoup sans vous toucher avec une éponge ; sans jamais vous essuyer que par doux tamponnements, afin de garder à votre corps son éclat et de ne pas disperser votre odeur exquise qui sera toujours, par le régime que vous tiendrez, un parfum un peu sucré que l'on corrigera, en cas d'abus de confiture de rose, par de la gelée de grenade ».
Avec Le Grand Ghâpal, Paule Constant semble bien se placer dans la course aux prix littéraires. Mais le plus important demeure que son livre est tout simplement superbe.

Y. Granger.

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La Provence, 12 juillet 2020

Paule Constant, du bon usage de l'éducation des jeunes filles.

Jean-Rémi Barland.

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