CONFIDENCE POUR CONFIDENCE
Presse

Le Figaro-Magazine. François Nourrissier : "Ainsi soient-elles"

Le Point. Jacques-Pierre Amette: "Trois femmes dans la bourrasque"

Le Monde. Jean-Noël Pancrazi : "Les sorcières de Middelway"

Le Journal du dimanche. Marie-Laure Delorme: "Aurore Amer, c'est son nom"

La Revue des deux mondes. Françoise Chandernagor : "Femmes entre elles"

Figaro littéraire. Patrick Grainville : "Des femmes s'étripent"

L'humanité. Jean-Claude Lebrun
: "Le concile des femmes de Paule Constant"

Le Journal du dimanche. Jean-Noël Pancrazi : "Lectures..."

Nice-Matin. Jean-Pierre Rudin : "Polyphone douce-amère pour quatre voix de femmes"

Le canard enchaîné. Dominique Durand :"Où sont passés les hommes ?"

Luxemburger Wort. Marie-Laure Rolland : "Les confidences d'un grand écrivain"

Le Devoir (Canada) : Naïm Kattan : "Entre quatre femmes"

Québec : "Une femme en cache une autre"

Libération (Maroc). Mehdi B. de Graincourt : "Coup de cœur pour un roman"

Die Zeit (Allemagne). Alexandra Kelvec : Paule Constant et le Goncourt

 


Le Figaro-Magazine, 25 avril 1998.

Roman : Confidence pour Confidence, de Paule Constant.

" Paule Constant : ainsi soient-elles "

Paule Constant est en pleine forme. Elle commence son septième roman par la description d'un matin de printemps dans le Kansas, et c'est superbe. Un oiseau cardinal, un écureuil fait frissonner les fleurs d'un arbre de Judée, au ciel toutes les nuances du rose et du rouge : on est sous le charme. La journée que va durer le roman sera baignée dans la musique et le parfum de ce début si classique. Et pourtant Confidence pour confidence est un modèle de roman moderne. Oui, je sais : « classique », « moderne», ne signifient plus grand-chose. Est-ce si sûr ? Je pourrais dire aussi bien : ce roman va vous étonner. Prenez par exemple les noms que Paule Constant donne à ses quatre héroïnes : Aurore Amer, Lola Dohl, Babette Cohen et Gloria Patter. Comment ne pas y entendre des connotations et intentions fort littéraires ? Viennent à l'esprit George Sand et Saint-John Perse, Baby Doll et HelIo Dolly, le Festin de Babette et Belle du Seigneur... Cela, qui saute aux yeux, pour signaler que la romancière s'installe au cœur d'un système de références très subtiles, très esthétiques. Va-t-elle commettre un livre de prof. abstrait, cérébral ? Nullement ! Son roman, à la fois serré et flâneur, est plongé dans la sensibilité la plus contemporaine.
Une romancière française élevée en Afrique noire, une ex-vedette de cinéma aujourd'hui alcoolique, une Juive pied-noir devenue professeur aux Etats-Unis sont venues à Middleway, Kansas, pour un colloque féministe qu'organise Gloria, militante noire et tiers-mondiste. Toutes quatre se retrouvent dans la maison de Gloria où elles vont passer quelques heures avant de se séparer. Bilans, confidences, rivalités, séductions, amertumes : on évoque parfois le Déclin de l'empire américain, le beau film un peu bavard du Canadien Denys Arcand. À ceci près que le roman n'est jamais bavard. Des digressions, des bouffées de souvenirs, de l'inattendu, oui, mais ni délayage ni lenteur. L'auteur monte ses scènes en romancière expérimentée. Elles sont belles : tout ce qui touche aux animaux, un incendie de brousse au Cameroun, la romancière chez le photographe, la première étreinte de Lola, Aurore au jardin zoologique. Rien d'inutile, rien de relâché. Quatre vies se révèlent peu à peu, qui incarnent une époque, un milieu, ses mœurs, ses habitudes de langage.
La réussite de Paule Constant est là : dans cette coupe de société qu'elle compose à l'aide de confidences et d'expériences disparates. Elle utilise le combat féministe - et ces thèmes parallèles et complémentaires que furent l’opposition aux guerres d'Algérie et du Vietnam - comme un miroir rendu à la société occidentale des années 60-70. Diversité des origines ethniques et nationales nivelée par la puissance du système américain, règne d'une « idéologie dominante » Sur les campus, réussites et échecs de la liberté, ressemblances entre femmes d'une même génération, puis, le temps ayant passé, glissement de la révolte vers le « politiquement correct » pour les unes, désespoir pour les autres. La façon dont vieillit une classe d'âge, dont s'usent ses illusions : le sujet - difficile - est magnifiquement traité. Le contrepoint des quatre expériences, des quatre confidences, est fortement contrôlé. J’aimais beaucoup Ouregano, White Spirit, la Fille du Gobernator, mais Paule Constant me semble avoir franchi un seuil : liberté, compassion et lucidité sont les qualités de ce beau roman.

François Nourrissier, de l’Académie Goncourt.

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Le Point, 11 avril 1998.

"Trois femmes dans la bourrasque"

Celle de la cinquantaine. Et pour la décrire, Paule Constant déploie l'art d'une féroce romancière.

Est-ce d'avoir passé une enfance au bagne de Cayenne, où son père était médecin, qui a fait de Paule Constant une romancière tonitruante, poivrée, novatrice, en un mot excellente ? On se souvient de quelques titres : « Ouregano », « White Spirit » et « La fille du Gobernator », qui faisaient échapper la critique littéraire à la corvée habituelle avec synthèse explicative et compte rendu d'une séance plénière à l'Académie de médecine.
Sujet du livre : portraits de femmes dans la bourrasque de la cinquantaine. Nous sommes dans le Kansas, c’est-à-dire assez loin des petites provinces françaises et tranquilles. Les cafés ressemblent à des étables et les clients à des spectateurs pour rodéos. On découvre une romancière française, Aurore Amer (retenez bien ce nom, lourdement symbolique), Lola Dhol, touchée par tous les périls de l'actrice vieillissante, Babette Cohen, pied-noire, corps incroyable, « chair succulente », tenaillée par un besoin de respectabilité qui se traduit par diamants, vison, cartes de crédit, etc. C'est visiblement la préférée de l'auteur.
Nous sommes évidemment sur un campus universitaire, qui est, dans la tradition littéraire, lieu de tous les affrontements les plus sordides avec des manières respectables ; on sait que, après les cours, dans un salon avec bibliothèque, les épouses de prof, d'une voix désolée, commentent et assistent à leur propre racornissement, se préparent des cocktails qui leur permettront, dans la soirée, de tisonner les braises de leur passé jusqu'à la pagaille et jusqu'au vertige.
Paule Constant s'enfonce dans la boue humaine avec une jubilation carnassière. On y aborde tous les sujets : le sexe et ses chienneries secrètes, la débine des corps, l'obsession du désir tournant à l'égarement, la marmelade des jalousies continuelles et réciproques qui s'exercent non seulement sur le présent, mais rebricolent le passé et le reficellent, dénaturant tout, jusqu'aux vérités du cœur les plus secrètes.
Il y a, sur la violence sexuelle et la fin de bal du désir, des morceaux d'anthologie qui semblent arrachés au Montherlant du cycle des « Jeunes filles ». Atroces regrets, aveux impudiques, agonie des visages qui utilisent tous les laits démaquillants du monde pour laver la tache de la vieillesse approchante, odeurs de médiocrité qui saturent l'air, dépôts de souffrances incongrues. On se gratte sous la peau dans ce colloque de femmes qui ne dominent plus rien, puisque le corps fiche le camp.
Mais, sous cette méchanceté pure ripolinée épaisse, se glissent de subtiles réflexions ; il y a une compréhension d'un certain naufrage culturel occidental, un décalage très bien vu entre les langues de bois morales et professorales et le rabot de la vie et les vraies épluchures qui restent.

Broder à pleins motifs, en toute liberté.
Le livre est également parcouru par de larges visions dérisoires sur tous les messages officiels de la philosophie contemporaine, du journalisme contemporain, qui enrobent de ficelles dorées notre univers comme si on devait en faire à tout prix un paquet-cadeau. Paule Constant décolle tout, arrache tout, jette le paquet avec rage, et nous livre de formidables pages sur les couples qui roupillent dans leur liaison, sur les écrivains qui, pris de fièvre du plagiat, deviennent tous d'odieux concurrents d'un steeple-chase qui vide le milieu littéraire de toute dignité. Cela nous vaut de fines analyses sur la photographie, le bourdonnement médiatique, les glissements progressifs d'êtres hypersensibles vers l'hystérie, l'abandon voluptueux à l'âge qui se métamorphose chez certaines en simple bourdonnement d'amertume...
On savait que Paule Constant était un bel écrivain. Avec ce roman, elle devient un « grand » écrivain. Comme ça, au huitième livre, elle ne se retient pas, elle brode enfin à larges points, à pleins motifs, en pleine liberté, en pleine jubilation, avec un style nerveux et raffiné. Chapeau !

Jacques-Pierre Amette.

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Le Monde, 24 avril 1998

Confidence pour Confidence de Paule Constant, Gallimard.

"Les sorcières de Middleway"

A l'issue d'un colloque, quatre femmes se retrouvent et s'affrontent. Tout semble permis pour exorciser leur détresse sentimentale : piques, coups bas, pour une joute incisive signée Paule Constant.

Un matin de printemps, scintillant et glacé, à Middleway – le petit Oxford américain - au Kansas, dans une maison très moderne, dont la porte reste bloquée par un cerveau informatique, face à des prairies où, en sortant d'une église, des baptistes chantent « Le Christ est ressuscité ! ». Tel est le lieu unique du nouveau roman de Paule Constant. Nous sommes apparemment aux antipodes du climat de tropiques délabrés, de cauchemar humide, d'hallucination moite et de bagne amer de La Fille du Gobernator. On retrouve pourtant dans Confidence pour confidence - et il faut se méfier de ce titre teinté de rose - le même goût du ravage, la même vigueur corrosive, la même jubilation du noir ; et jamais n'a été aussi euphorique la férocité avec laquelle la romancière désintègre les images sociales, dévoile les enfers intimes ; jamais elle n'a été aussi résolument, aussi désespérément comique. Car Confidence pour confidence est une comédie implacable, un divertissement impitoyable.
Quatre femmes sont réunies au lendemain du colloque féministe des Sorcières de Middleway : Gloria Pater, créatrice des Feminines Studies ; Aurore Amer, romancière française ; Lola Dhol, actrice norvégienne venue pour faire des lectures des auteurs programmés ; Babeth Cohen, directrice du département des lettres européennes. Elles devraient théoriquement s'estimer, s'entraider mais ne cessent de se heurter, exploitant 1a moindre de leurs faiblesses respectives et ne se laissant pas la moindre marge d'illusion sur elles-mêmes, tout en affichant cette terrible bonne humeur qui est « de rigueur quand il y a plus de trois femmes ensemble : à deux, elles se font des confidences et elles ne sont pas gaies ; à trois, elles se remontent le moral ; à quatre, elles tombent sur la quatrième pour l'enfoncer dans la déprime ».
La maison de poupée devient un ring. Le livre crépite de vacheries, de coups envoyés en plein cœur, même si Paule Constant a l'élégance de ne pas céder à la facilité de la scène cruciale du règlement de compte absolu où chacune serait mise définitivement au tapis. Babeth lance à Gloria qui est noire et empêtrée dans son adoration excessive pour sa fille Chrystal à la peau plus claire : « Il y a en toi une vielle esclave noire prosternée devant sa petite maîtresse blanche. » Gloria se délecte d'enfermer Babeth dans un rôle de raciste intolérante : celle-ci, tout en se proclamant de gauche, aux côtés des peuples révoltés, n'a jamais vraiment admis l'indépendance de l'Algérie, d'où elle a dû partir en 1962, et elle continue à traiter de poseuses de bombes les femmes qui, jadis, ont participé à la guerre de libération.

DÉCALÉES
Mais le nœud secret, envenimé de leurs rivalités, de leurs jalousies est l'écriture, la création. Parce que, ivre de puissance, elle veut être l'auteur d'un livre qui prouve « qu'elle est quelqu'un », Gloria n'hésite pas à concocter par ordinateur un ouvrage, African Woman, en pillant allègrement un roman d'Aurore Amer, qu'elle prétend seulement traduire. Et l'on sent bien l'indignation de Paule Constant quand elle évoque ce que la littérature représente de sacré, d'engagement absolu et solitaire, de destruction intime pour Aurore Amer. Jamais on n'avait exprimé avec autant de justesse la fatigue d'écrire. « On ne peut pas faire naître tant et tant sans mourir », constate Aurore, qui se dit « esquintée » et sait qu'elle doit éviter un excès d'émotion parce que son corps ne suit pas ; pour réaliser son immense ambition, il lui aurait fallu une « énorme carcasse ». Elle est épuisée par une sensation permanente de décalage « avec le temps, avec l'espace, avec les autres, avec les hommes, avec les femmes ». Mais décalées, elles le sont toutes, même si elles le masquent sous la parade émancipatrice ou l’affirmation d'une réussite professionnelle. La griserie de la glose, du commentaire, dissimule mal un néant sexuel, le vide de l'amour : « Elles ressassaient entre elles une solitude qu'elles voulaient rompre à tout prix, cherchant à se convaincre qu'elles étaient assez jeunes encore pour ressusciter l’amour, recommencer leur vie. Elles étaient pressées, démunies et malhabiles, prêtes à jouir d'une liberté recouvrée qu'elles ne trouvaient pas à employer. Elles se demandaient où étaient passés les hommes. »

FRUSTRATIONS
Et les pages les plus admirables, par leur densité âpre, sont celles où Paule Constant montre la détresse sentimentale et sensuelle de ses héroïnes, accomplit des plongées dans leur passé comme pour procéder à la généalogie de leurs manques que la vie, au lieu de combler, n'a fait qu'accentuer. Quand le chagrin la poignarde à la pensée que l'Aviateur l'a quittée, Babeth Cohen ramène son manteau de vison vers elle, paralysée par le froid du souvenir de l'époque où, à peine adolescente, elle était, au retour d'Algérie, la tête de pont d'une famille déglinguée. Lola Dhol pousse un immense cri pour dénouer la tension du désir inassouvi. Le visage boursouflé par l'alcool, perdue dans la nostalgie du temps où elle régnait sur les écrans, où elle envoyait en l'air sa vie et courait se faire avorter en Suisse entre deux tournages, elle supplie le ciel de rencontrer un homme qui lui fasse l'amour. Aurore Amer avoue avoir rarement eu envie de caresser un homme, n'a eu qu'une relation de commande, « un amour qui avait le mérite de n'en être pas vraiment un » avec le Médecin ; elle rêve, pour se donner une dernière illusion de chaleur et d'enfance, d'une cage au zoo où elle se glisserait entre les chimpanzés et les orangs-outangs... Elles n'ont, à présent, pour tout compagnon que des chevaliers servants de pacotille, des secrétaires particuliers, Horatio et Babilou, spécialiste en coups tordus, qui se livrent à des exercices « out » en marge du congrès et s'abandonnent à des excès de sexualité compulsive : il y a une scène stupéfiante de drôlerie désespérée où, au Blue Bar, ce bastringue géant du bord de route, elles regardent avec une concupiscence navrée, un dépit ulcéré et railleur, les deux hommes danser et s'étreindre au milieu de la piste.
Malgré leurs frustrations aggravées par l'âge où la chair « commence à pousser de partout », malgré cette rage de déception qu'elles ne parviennent à exorciser qu'en se dénigrant les unes les autres, il y a, entre elles, une vieille solidarité indistincte : quand elle souffre, Aurore se laisse envelopper par l'immensité du corps de Gloria, par la tiédeur de sa texture élastique et sa couleur de miel sombre ; un besoin d'échange intime subsiste toujours entre elles : « A qui peut-on parler si ce n'est à une autre femme, avec d'autres femmes, pour se dire, confidence pour confidence, que, finalement, ce qui est si lourd à porter, nous le partageons.» Au fond, Paule Constant aime et nous fait aimer ses héroïnes à la fois dures et perdues. Et, dans ce roman éblouissant de liberté, de dérision juste, de férocité et de compassion exactes, Paule Constant nous en dit beaucoup plus sur la force et le chagrin d'être femme aujourd'hui que bien des livres gadgets qui se veulent plus modernes et s'évanouissent aussi vite dans la mémoire que la sonnerie d'un portable.


Jean-Noël Pancrazi

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Le Journal du Dimanche, 5 avril 1998.

Confidence pour confidence de Paule Constant. Gallimard.

"Aurore Amer, c’est son nom"
Paule Constant c’est l’auteur

Elle démaquille les visages et arrache les déguisements pour mieux faire apparaître des êtres qui tentent de sculpter leur vie. Avec pour seule matière un passé en lambeaux, un avenir en miettes. Paule Constant est une romancière discrète qui écrit des livres bruissant de douleurs et de rires. Elle n'a besoin ni de tordre ses phrases, ni de torturer ses intrigues pour dire la complexité de personnages qui se noient à marée basse.
Comme ces magiciens qui sortent de leur chapeau noir des bouquets de fleurs bigarrées, Paule Constant extrait de son écriture sage une folie torrententielle. Celle de ces vies calmement endormies, soudainement réveillées.
Dans une maison située à Middleway, dans le Kansas, quatre femmes se confient et se déchirent. Gloria Patter, universitaire noire, est la propriétaire de la maison. Elle a acheté à sa fille Chrystal un animal qui ne cesse de tourner en rond dans une boîte en plastique. « C'est un rat, dit Gloria. Chrystal voulait un chien, un chat, je lui ai acheté ça et bien sûr au bout de deux jours, elle ne s'y est plus intéressé. »
Lola Dhol, actrice vieillissante, aimerait trouver un nouveau rôle au cinéma. En attendant, elle se soigne en criant ou, à défaut, en vomissant. « Elle criait pour rien, pour s'entendre, la nuit, comme on ouvre la lumière.» Babette Cohen, professeur d'origine pied-noir, est en guerre contre le monde entier. Elle vient d'être abandonnée par son mari. « En me quittant. il m'a vieillie d'un seul coup ! »
Aurore Amer, romancière française, écrit son prochain livre. Elle continue à chercher partout une famille qui n'existe nulle part. « C'était une manie qu'elle avait depuis l'enfance de ne visiter aucun endroit sans s'y faire mentalement sa place ni de rencontrer de gens sans espérer en être adoptée.»
Semblables au rat enfermé dans sa boîte, ces quatre femmes tournent désespérément en rond à l'intérieur d'elles-mêmes. Elles approchent la cinquantaine et ne savent ni comment ni à quoi amarrer leurs angoisses et leurs peurs. La féministe Gloria est sans homme. L'indépendante Babette sans mari. La sensible Aurore sans enfant. L'égocentrique Lola sans jeunesse. Elles ont des secrétaires homosexuels, des visages maquillés, des animaux à bercer. Toutes substituent et ravaudent au lieu de déterrer et de planter.
Confidence pour confidence n'est pas une charge contre le féminisme. L'auteur de la Fille du Gobemator dévoile simplement la vie et les êtres tels qu'ils sont. Ses personnages se mentent et se trompent pour survivre. Ils font au mieux avec le pire. Qui peut le nier ? Il n'est pas facile d'avoir la peau noire dans un pays de blancs. Il n'est pas agréable de constater chaque matin la victoire de la vieillesse sur son visage. Il n'est pas aisé de vivre loin du pays où l'on est né. Il n'est pas souhaitable de chercher adulte ce que les autres ont reçu enfant. Pourtant, que font-elles d'autre ?
Confidence pour confidence est un livre brutal et drôle qui entrechoque les différentes composantes de la nature humaine pour dessiner une vie qui marche à reculons. Là où une mère a trop été, là où un père a insuffisamment été. Depuis ses débuts, Paule Constant décape les êtres lisses et détruit les idées fausses dans des livres qui se détournent violemment des apparences. C'est un écrivain de l’éveil et de la vérité qui choisit toujours le plus court chemin pour parler des méandres humains. Confidence pour confidence ne fait pas exception à la règle. Ce roman plein d'épines et de pétales est un saut en plein cœur de la vie.

Marie-Laure Delorme.

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La Revue des deux mondes, juillet-août 1998.

Paule Constant. Confidence pour confidence. Gallimard.

"Femmes entre elles"

Quatre femmes - des femmes de cette génération qu'on a dite « libérée ». Quatre femmes qui approchent de la cinquantaine chargées d'honneurs et de responsabilités, mais privées d'amour, telles sont les héroïnes du dernier roman de Paule Constant, Confidence pour confidence. À l'occasion d'un congrès de feminine studies aux Etats-Unis les voici rassemblées : Lola, la Norvégienne, célèbre actrice internationale sur le déclin ; Babette, la pied-noir « rapatriée » expatriée, devenue directrice des relations internationales de Missing H. University ; Aurore, la Française, romancière à succès ; et Gloria, 1'« Afro-Américaine », doyen du département des langues étrangères du Kansas et, ce jour-là, puissance invitante. Le temps d'une belle matinée de printemps à Middleway, autour d'un petit déjeuner ou dans la salle de bains qu'elles partagent, ces femmes, fortes et fragiles, ces executive women toujours en décalage horaire ou en retard d'une lessive et d'un repassage, vont s'affronter, s'égratigner, s'envier, se confier, se déballer, se consoler et se résigner. Huis clos tantôt nostalgique et tantôt comique, mais huis clos : un système électronique verrouille toutes les portes, fenêtres et volets de la maison où elles logent, « une maison refermée qui n'ouvre qu'un œil sur la rue ». C'est à peine si, par cette unique fenêtre, celle de la cuisine, on aperçoit, derrière le voilage, l'église en face où se déroule, dans la couleur et la joie, une cérémonie baptiste. Du dehors ne parviennent plus ni son ni odeur.
Coupées du monde jusqu'à l'heure où leurs chauffeurs-secrétaires viendront les délivrer pour les reconduire à l'aéroport, les quatre recluses font le bilan du colloque qui vient de s'achever, et de leur vie qu'il faut poursuivre. Ce bilan, elles le font, nous dit Paule Constant, « avec cette terrible bonne humeur qui est de rigueur dès qu'il y a plus de trois femmes ensemble : à deux, elles se font des confidences et elles ne sont pas gaies ; à trois, elles se remontent le moral ; à quatre, elles tombent sur la quatrième pour l'enfoncer dans la déprime » . Chacune, dans ce terrible jeu de la vérité, sert à l'autre de miroir et de repoussoir : Gloria nourrit pour Aurore, blanche mais née sur le sol d'Afrique, souffreteuse mais capable de bâtir des romans, une admiration jalouse ; Aurore, dont l'ex-mari méprisait les charmes (« ses seins petits, ses hanches minces, ses fesses de garçon »), envie la silhouette sculpturale de Babette et l'aura sexy de Lola Dhol ; Babette, que ses origines « colonialistes » rendent éternellement suspecte, rêve de la liberté de parole de Gloria, à qui le seul fait d'être noire, descendante d'esclave et « de gauche » autorise n'importe quel propos sans risquer d'être « politiquement incorrecte ».
Mais elles se retrouvent toujours à trois pour plaindre ou railler la quatrième : cette pauvre Lola qui boit comme un trou, cette grosse Gloria qui s'habille si mal, cette malheureuse Babette qui n'a pas su garder le beau bourgeois qu’elle avait épousé.
Chacune de ces femmes souffrantes se mire en effet dans le regard de l'autre faute de pouvoir se reconnaître encore dans les miroirs : Lola, que l'âge a fait dégringoler du haut des affiches de cinéma au bas des affiches de théâtre, est trop saoule, dès le matin, pour distinguer ses traits dans la glace de la salle de bains ; Babette est trop myope ; Aurore, trop transparente ; et toutes sont trop vieilles soudain, mal à l'aise dans ce corps « débandé qui s'étale, gonfle, prend du ventre, des hanches, des seins » et « ne rentre plus dans rien ».Pas moyen, non plus, pour elles de se retrouver, de se rassurer dans le regard et les bras d'un homme : « Elles se demandaient où étaient passés les hommes... Ces colloques de femmes remplis de femmes qui ne parlent que de femmes, c'était un cauchemar ! Pas un homme à l'horizon. Plus un homme debout ! » « Je suis une terre qui n'est plus labourée, gémit Lola, je ne suis plus baisée, ils ne me baisent plus. »
Entre autres points communs en effet, les héroïnes de ce livre ont celui d'avoir été plaquées : un jour leurs amants, leurs maris les ont quittées pour « N'importe-qui », une « N'importe-qui » jeune et blonde qui les attend « à la maison ». Seule Gloria n'est pas encore divorcée, mais son époux est retoumé vivre chez Papa-Maman, là où les repas sont prêts à l'heure et les chambres propres : à sa femme il n'apporte plus, comme un jeune homme, que son linge à laver... Mais, au fait, qu'ont-elles perdu en perdant leurs amours ? Curieusement, l'auteur ne définit jamais ces hommes enfuis que par leur fonction professionnelle : l'Aviateur, le Photographe, le Médecin, le Machiniste. Comme s'ils n'avaient eu ni prénom ni chair : des costumes vides pendus sur des cintres… Leurs ex-femmes, mûrissantes mais toutes-puissantes, les ont remplacés par un essaim de jeunes secrétaires homosexuels et ambitieux qui n'ont d'autre défaut que de déranger de temps en temps, par leurs esclandres amoureux, le bon déroulement des grand-messes féministes...
Pour se protéger de la solitude, cette solitude qui est désormais leur lot, ces femmes n'ont pas d'enfants non plus. Ou plutôt un seul pour quatre : Chrystal, la fille de Gloria, que sa mère idolâtre mais qui rejette violemment et publiquement le modèle maternel ; à une journaliste qui lui demande à qui elle ne voudrait pas ressembler, « à ma mère », répond la charmante petite, avant de préciser qu'elle veut « de nombreux enfants, un mari, et une maison bien rangée ».
Constat d'échec, donc, que ce roman drôle et cruel ? Pas vraiment, car ses quatre héroïnes, un moment désemparées par l'âge et l'abandon, restent, malgré elles, des « battantes ». Aurore, la romancière maladive et migraineuse, Aurore, que l'écriture épuise et qui « prend beaucoup, beaucoup trop de calmants » est déjà en train - tandis que le colloque s'achève - de construire son prochain roman : les personnages se dessinent à son insu et s'enracinent, sans qu'elle en ait conscience, dans son corps déglingué, son âme blessée. Babette, que son divorce après vingt-cinq années de mariage semble avoir plongée dans la déprime, s'apprête à « dégommer » sans faiblesse les jeunes intellectuelles aux dents longues qui intriguent pour prendre sa place à l'université. Et Gloria se jette sans hésitation dans le plagiat pour mieux asseoir sa réputation de « great african woman ».
Victorieuses au finish, les sorcières de Middleway ? Oui, parce que, lucides et désenchantées, elles manient comme personne l'humour et l'autodérision, et qu'entre deux traits acerbes elles se montrent aussi capables d'amitié et de compassion. Quelle scène magnifique que celle où Gloria réchauffe entre ses mains les pieds glacés d'Aurore ! Ou, plus bouleversante encore, celle où Aurore découvre Lola ivre, sortant de la salle de bains commune, toute barbouillée de rouge et de noir, et entreprend avec une tendresse infinie de la laver et de remaquiller ses traits bouffis pour lui rendre un instant son visage d'autrefois, celui que les écrans lui ont volé et qui « repose, inoubliable, au fond des cœurs ».
« Il y a en moi une jeune fille qui refuse de mourir » : cette phrase que Paule Constant a placée en exergue de son roman résume parfaitement la psychologie, tout en demi-teintes, de ses quatre personnages aux rapports doux-amers. Ajoutons que, dans cet admirable portrait de groupe, la romancière a su glisser comme toujours les digressions satiriques et mélancoliques auxquelles on reconnaît le vrai talent : nul ne sait dire mieux qu’elle, au détour d’une phrase, l’odeur des chambres d’enfants, le terrorisme des Cocotte-Minute, l’indécence des photos d’écrivain, la sensualité d’un baiser de rhinocéros, ou la joie naïve d’une petite fille qui porte une robe neuve pour la messe de Pâques…
Confidence pour confidence confirme ce que nous savions déjà : Paule Constant est l’un des plus grands romanciers de la génération qu’elle dépeint.

Françoise Chandernagor.

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Figaro littéraire, 4 avril 1998.

Paule Constant. Confidence pour confidence. Gallimard.

"Des femmes s’étripent"

Un mec qui écrit ça, il est cuit ! Féroce satire du féminisme et des intellectuelles patentées concoctée par Paule Constant jubilatrice, assoiffée de soufre et de mort-aux-rats. On verra que ces confidences s’inscrivent sous la bannière noire du rat justement... La romancière aligne à Middlewav, Kansas, un quatuor d'universitaires sur le retour. Elle crucifie ses petites camarades, les brocarde, leur injecte leur content de ciguë.
C'est un carnage narquois. Les vacheries fusent de biais, entre les lignes, des petits détails qui tuent ! Peu d'affrontements directs. Non, ça suinte, ça suppure, ça éclate par escarmouches subites. On ravale sa chique, on feint l'aménité, on se chouchoute entre chéries, on s'adore, on s'abomine. C'est la vie ! On est bien torves, au fond, à remâcher enfance, humiliations, la fuite des maris, des amants, toutes les déroutes d'un destin décrépit. Bien sûr, Paule Constant s'amuse, s'intègre dans le lot, puisqu'il y a Aurore Amer, la romancière, au nombre des immolées. Cette Aurore n'est pas le double de l'auteur, mais, au détour d'une phrase, d'une notation, Paule Constant n'est pas sans établir un rien de connivence décalée avec sa consœur.
Ces dames se sont réunies chez Gloria, leur chef, grande prêtresse de l'université de Middleway, département : feminine studies. Elle orchestre chaque année un colloque sur la femme piétinée à travers la planète. Gloria, autoritaire et tentaculaire, mène sa sempiternelle bataille. C’est devenu sa fonction, sa croûte, sa prouesse et son apparat de reine... Elle est flanquée de Babette, d'origine pied-noir, haute et charnelle, à vison et diamant, qui se venge d’un passé patriarcal enduré dès le berceau.
Ce beau duo a bénéficié jadis d'une bourse allouée par un fabricant américain de jus de tomate : la tomato fondation ! C'est une des mille espiègleries de Paule Constant que ces contrastes entre le discours flamboyant et la trivialité des faits. Gloria et Babette s'étripent sur l'Algérie des années 60. Gloria bien sûr, campe du côté du FLN, des glorieux libérateurs qui combattaient dans le sens de l'histoire. Babette a beau être féministe et progressiste, elle a été virée de son pays par !es décolonisateurs, et ne saurait le leur pardonner. Là encore, on saisit le mauvais esprit de Paul Constant acculant ses héroïnes à des contradictions cuisantes. Elle les traque, elle les piège, elle les dénude dans leur misère pathétique. Gloria est d'ailleurs entrain de pomper un roman entier d'Aurore.
Gloria et Babette sont toutes deux dotées de deux secrétaires adorables, Horatio et Babilou, homos, volages, volontiers médisants. Gloria hait Babilou, Gloria est un ouragan de haine vitale. Babette, plus mêlée, plus nuancée. Elle vient d'être larguée par 1'Aviateur, un type qui s'est illustré au Vietnam dans l'administration du napalm.
C'est un peu gênant pour un féminisme des lumières. Mais il y a une logique à tout. Babette n’arrive toujours pas à encaisser ces fronts de libération dont sa famille a fait les frais jadis. Ces deux leaders de haut vol sont assortis de Lola et d’Aurore, nettement plus déplumées. Lola, star décavée, hantée par le vide, que Gloria a embauchée pour débiter des textes militants d’une voix détimbrée. Enfin Aurore, divorcée d’un mari sadique et vaniteux, a passé son enfance en Afrique, traumatisée par la mort de son rat palmiste. Scène primitive magnifiquement exploitée par Paule Constant. La chute du rat tombé de l’épaule d’Aurore qui l’écrase de son talon par mégarde. La mère balançant la bête pour l’achever contre le mur ! Paule Constant n’y va pas à petites gorgées. La violence est embusquée partout. On craint un instant que les quatre sœurs ne s’exterminent dans une tuerie hallucinée. C’est un livre lourd de tentations… le jugement le plus tranché sur les héroïnes l'est par Chrystal, la fille exquise de Gloria. Refusant de rester à la maison en présence des invités, elle leur lance dès les premières pages du roman : « Vieilles et moches comme les salopes que vous êtes ». Voilà l’ambiance de vaudeville acéré, de carnaval de l’imposture.
Une satire, bien sûr, mais Paule Constant est trop fine pour ne pas laisser filtrer un fond d’humanité aux abois chez ses lionnes déchiquetées. Lola et Aurore sont souvent émouvantes face aux deux félines blessées. Il faut saluer cette romancière de rire et de ravage. Si réjouissante et rare.

Patrick Grainville.

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L'Humanité, 24 juillet 1998

Le concile des femmes de Paule Constant

Paule Constant construit patiemment, depuis quelques années son territoire romanesque. Il y circule certes de l'humour, mais aussi beaucoup de litotes, de sous-entendus et de non-dits. Confidence pour Confidence (Gallimard) ne faillit pas à cette (bonne) règle, rassemblant quatre figures de femmes lancées dans un combat inachevé, dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler le meilleur Wody Allen.
C’est un véritable huis clos qu’organise Paule Constant dans Confidence pour Confidence. Enfermées dans une maison du Kansas désespérément livrée à la programmation de l'ordinateur domestique qui commande à heures fixes ouvertures et fermetures des portes et fenêtres, et déclenche le fonctionnement des différents appareils ménagers, quatre femmes, rassemblées à l’occasion d’un colloque féministe, vont se trouver peu à peu conduites à évaluer leurs parcours respectifs, dans une ambiance douce-amère, chargée à la fois de tendresse et d’ironie. L’œil vif et la plume incisive, Paule Constant procède sans complaisance à un véritable état des lieux, avec une manière de lucidité tonique et généreuse, quelque chose comme un tableau du paysage pendant la bataille.

Désillusions, solitude, frustrations, nouvelles dépendances qui mettent les âmes à vif
Une seule journée passée en commun, le lendemains du colloque, suffit en fait pour que remonte à la surface ce qui n’a pas cessé d’animer chacune d’elles jusqu’à présent. On découvre là, tour à tour, quatre remarquables caractères. Gloria Pater l’universitaire noire américaine, dont la mère avait dû mendier pour assurer leur survie. Aurore Amer la romancière française dont la famille avait péri dans les camps et qui s’était trouvé un pseudonyme en feuilletant la liste des convois funèbres. Lola Dohl, une Norvégienne dépressive et alcoolique, ancienne actrice en vogue des années soixante. Enfin, Babette Cohen, une rapatriée d’Algérie qui avait appris l’anglais « par simple haine du français » et s’était trouvée titulaire d’une chaire importante à l’université locale. Paule Constant les présente à leur réveil, les défenses pas encore en place. Comme livrées à nu dans la maison où Gloria les reçoit. L’heure du départ approchant, c’est aussi le moment des bilans, avec leurs lots d’amertume et d’aveux, d’irritations et de confidences. Car toutes les quatre ont dû lutter, arracher un à un les moyens de leur émancipation, contre des pesanteurs et des résistances qu’on assimilerait bien à tort à quelque obscure et ancestrale fatalité. La romancière ne laisse planer là-dessus aucune ambiguïté. Dans le même temps cependant, elle porte sur ses personnages un regard singulièrement critique, dans lequel l’humour fonctionne à plein. Ces militantes chevronnées de la cause féministe paraissent en effet tout droit sorties d’un film de Woody Allen, avec leurs tics, leurs irritants ego, et leurs blessures intimes, liées à de plus vastes cataclysmes qui se laissent pressentir. Le racisme, l’Holocauste, les fruits amers du colonialisme, les dégâts de la société du spectacle : chacune en a reçu sa part et s’est construite contre celle-ci. Par le jeu de l’artiste, par l’étude ou par l’écriture. Mais à quel prix… Le livre de Paule Constant répertorie la somme des désillusions qui en a résulté. Des solitudes, des frustrations, de nouvelles dépendances se sont fait jour, qui mettent à leur tour les âmes à vif. Avec infiniment de délicatesse et de pudeur, elle en explore les replis, fait ressurgir les traumatismes lointains, ou même parfois les drames, qui ont laissé en elles leurs empreintes profondes. On les voit se débattre avec tout ce lest, tantôt agressives et tantôt poignantes. Nourrissant leur être de ce combat, et sans doute s’y épuisant. Et lâchant au passage leurs vérités. Par exemple sur la « culture du dérisoire et du plouc », ou sur « la rapacité commune aux écrivains quand il s’agit de leurs livres », ou encore sur le paradoxe de notre temps : « Cette époque monstrueuse qui lynchait, qui empoisonnait, qui massacrait, mais qui faisait soigneusement le ménage des mots crus et qui aseptisait la langue pour n'adopter qu’un vocabulaire de marketing. » Bref l’espoir d’une vie neuve, que chacune avait à sa façon entretenu, n’a rien perdu de sa légitimité. Paule Constant les met en scène à cet instant crucial où le bilan provisoire, déjà fort contrasté, pourrait rapidement virer au définitif, scellant alors à jamais les insatisfactions et les rancœurs. C’est aussi ce qui donne à leurs échanges son aspect tendu, âpre parfois, par-delà l’humour déployé en contrepoint. De l’émotion, de la passion, de la vie, entrent en effet à profusion dans ce qui pourrait d’abord passer pour un cénacle de bas-bleus. On pense par exemple au récit poignant de Babette : le départ d’Alger et l’arrivée à Marseille, tellement semblables et pourtant si étrangères l’une à l’autre. Ou encore à l’installation à Bordeaux, avec sa froideur bourgeoise, n'offrant aux filles qui faisaient des études « que la médecine ou l’anglais et de toute façon le mariage ». Cela même, superbement sec et retenu, qui en dit plus sur un monde et son temps que les audaces de cour de récréation ou d’un certain populisme ambiant, congénitalement incapable d’ouvrir au texte une autre perspective, que celle, insupportablement rétrécissante, de l’entonnoir. En l’espèce, Paule Constant s’avance sans tapage, dans une langue d’aspect mesuré, mais en fait saturée de sous-entendus, de cris étouffés. Aux antipodes des poses d’écriture racoleuses qu’on voudrait faire passer pour la modernité. Oubliant simplement au massage des acquis fondamentaux pour le roman : par exemple qu’il existe parfois quelque rapport entre signifiant, inconscient et subconscient. Voici justement un texte qui navigue à plein entre ces pôles. Avec une profondeur, mais aussi une drôlerie, qui méritent toute notre attention.

Jean-Claude Lebrun.

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Journal du Dimanche, 19 juillet 1998

Lectures...
Confidence pour confidence de Paule Constant, Gallimard.

Paule Constant est, en fait, un grand auteur comique. Elle témoigne d'une verve féroce, d'une acidité réjouissante dont l'histoire de ces quatre femmes réunies, le lendemain du colloque féministe des Sorcières de Middleway, dans la maison de Gloria Pater, créatrice des "Feminine Studies".
Tout en affichant cette terrible bonne humeur qui est de rigueur quand il y a plus de trois femmes ensemble, elles s'envoient des vacheries, des coups en plein cœur, détruisent les dernières illusions qu'elles pourraient avoir sur elles-mêmes. La maison devient un ring où elles cherchent à se mettre au tapis.
Paule Constant montre admirablement leur contradiction : elles se voudraient émancipées, maîtresses de leur destin mais elles ne trouvent pas vraiment à employer la liberté qu'elles ont conquise, et demeurent dépendantes des hommes, devenus bien rares à leurs yeux...
Elles se demandent d'ailleurs, sans cesse, où ils sont passés, et n'ont pour tout compagnons que Horatio et Babilou, ces chevaliers servants de pacotilles, ces secrétaires très particuliers qui sont prêts à tout leur offrir, sauf l'amour.
Mais une vieille solidarité instinctive demeure entre elles, la conscience qu'une femme ne peut tout dire, tout avouer qu'à une autre femme... c'est un livre éblouissant de lucidité exacte, de dérision et de compréhension justes.

Jean-Noël Pancrazi.

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Nice-matin, avril 1998

Confidence pour Confidence, de Paule Constant (éd. Gallimard)

Polyphonie douce-amère pour quatre voix de femmes

Gloria Patter, américaine et noire, est prof de fac. Elle ne vit que pour ses racines et la francophonie.
Babette Cohen, juive et pied-noir, ne s'est jamais complètement remise de l'accueil désastreux de Marseille à la fin de la guerre d'Algérie.Elle est également professeur d'Université aux Etats-Unis, ce qui est pour elle une belle revanche.
Aurore Amer est une romancière française très marquée par le drame de son enfance en Afrique noire.
Une actrice norvégienne, autrefois adulée et aujourd'hui vieillissante et alcoolique : un peu Lolita, un peu poupée (elle s'appelIe Lola Dhol), elle va de déprimes en déprimes.
Chacune de ces femmes pourrait être l'héroïne d'un roman. Paule Constant, avec beaucoup d'habileté, les réunit pour quelques jours dans le huis clos d'un colloque féministe organisé par Gloria Patter dans son université de Middleway (Kansas), « le lieu le moins romantique de l'univers ». Gloria les loge dans sa maison. Lola, toujours, anxieuse, redoute, non sans raison, la terrible bonne humeur qui est de rigueur dès qu'il y a plus de trois femmes ensemble: « A deux elles se font des confidences et ne sont pas gaies ; à trois elles se remontent le moral ; à quatre elles tombent sur la quatrième pour l'enfoncer dans la déprime. C'est comme les bêtes, les oiseaux surtout : si on met deux inséparables dans une cage il ne se passe rien, si on ajoute un autre couple, le ramdam commence, à six ils s'étripent ». Elles ne sont heureusement jamais six, souvent deux, parfois trois, rarement quatre ensemble.
Les hommes sont bien présents dans le livre mais en pointillés, comme de simples catalyseurs de leurs problèmes de femmes. Ils ne sont d'ailleurs jamais désignés par leur nom et, à l'exception du machiniste (pour Gloria), ont tous disparu de leur vie. C'est ainsi que l'Aviateur, le Fonctionnaire, le Célibataire, le Français, le Médecin, sont évoqués. Ils vivent dans le passé. Le présent c'est le temps de la session en cours des « feminine studies ».
La partie émergée de l'iceberg. Mais ce qui les lie vraiment c'est bien leur passé et particulièrement leur enfance douloureuse et traumatisante. Parvenir à enchevêtrer ces quatre destins par le biais de conversations parfois tendres, plus souvent grinçantes, était un bien difficile pari. Il est magnifiquement gagné. Si l'on y ajoute le style, brillant, incisif, très travaillé, offrant tour à tour, dans un jeu de miroirs, comédie et tragédie, il nous faut constater que l'auteur de « White spirit » a bien du talent. Mais cela, nous le savions déjà...

Jean-Pierro Rudin.

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Le Canard enchaîné, 20 avril 1998.

" Où sont passés les hommes ? "

Les nuits sont belles, au Kansas ; mais le petit matin de quatre copines sortant d'un colloque féministe est moins frais. « Confidence pour confidence », Paule Constant nous offre ici un grand roman des sixties embrumées (Gallimard).

Certes, Middleway, Kansas, fait rire dans les séries télévisées américaines ; ce serait même « le lieu le moins romantique de l'univers ». Mais le printemps y est splendide, et la rencontre féministe des « Sorcières de Middleway » à l'université a encore été un succès.
Le colloque est terminé, quatre femmes sans messieurs passent les dernières heures ensemble dans la maison de Gloria, l'organisatrice. Lola Dhol, ex-actrice fétiche qui fuit dans l'alcool les hommes qui s'en vont, appréhende la cérémonie du petit déjeuner : « Il faudrait les affronter toutes à la fois, avec cette terrible bonne humeur dès qu'il y a plus de trois femmes ensemble !… C'est comme les bêtes, les oiseaux surtout. ») Elles s'aiment, se sont cooptées, se détestent (entre elles ? ou chacune, elle-même ?). Gloria la Noire, venue de Port-Banane (voir le roman de Paule Constant « White Spirit », en 1990), fuyant sa grand-mère mendiante, est devenue gourou de ce colloque ; Bahette Cohen, juive pied-noir, a accédé à un haut poste. pour oublier Bordeaux, où les filles à l'université ne rêvaient que d'épouser un médecin naval ; Lola Dhol, qui fit rêver les seventies, est là pour lire les textes et oublier qu'à la clinique elle est « la dame, l'alcoolique, le delirium »… depuis qu'elle n'est plus au cinéma, et a échoué à jouer au théâtre « Maison de poupée », rôle repris par sa propre mère !
Celle qui lui ressemblait tant dans ses années Saint Sulpice, la romancière qui s'est appelée Aurore Amer pense à sa seule amie à Paris, la prostituée LeiIa ; Lola lui dit que les artistes sont seulement « marqués », tandis qu'elle, l'écrivaine, est « esquintée ». Voilà le mot que cherchait Aurore : l'écriture la bousille, mais ce n'est pas une raison pour que Gloria, en quête de ses racine, sous prétexte de faire traduire son roman, commence à la plagier pour écrire « African Woman » , elle qui n'a jamais mis les pieds en Afrique !
Paule Constant réussit ce court huis clos entre quatre femmes qui n'aiment pas ce qu'elles sont devenues ; le Kansas peut être ibsénien, les combats contre la guerre en Algérie ou au Vietnam, le féminisme, peuvent donner des femmes rompues (« Et alors, répliqua Gloria, je suis une vieille carne ! »), mais pas liées, qui se détestent mais ne se haïssent pas, ayant besoin les unes des autres.
Cet équilibre dans le paroxysme est le bonheur de Paule Constant, qui nous les rend sympathiques, ses pathétiques copines vachardes, et fait passer tout ce que l'écriture peut avoir d'éreintant par le personnage d'Aurore Amer, l’« esquintée » de service, qui se rappelle ce séjour à New Delhi où toutes les Occidentales qu'elle avait vues se retrouvaient là, exilées pour cause de chagrin d'amour, et se « demandaient où étaient passés les hommes ». Sûrement pas par Middleway, Kansas.

Dominique Durand
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Luxemburger Wort (Belgique), 12 novembre1998.

"Les confidences d’un grand écrivain"


Paule Constant obtient le Prix Goncourt pour Confidence pour Confidence. En couronnant, en début de semaine l'écrivain Pa.ule Constant, le jury du prix Goncourt a consacré une grande dame de la littérature française. « Confidence pour confidence » est le huitième roman d'une œuvre déjà maintes fois distinguée : PrixValéry Larbaud pour un premier roman, « Ouregano », Grand Prix de l’essai de l'Académie française pour « Un monde à l'usage des demoisel1es », Grand Prix du roman de l'Académie française pour «White spirit ». La romancière avait manqué de peu le Goncourt en 1994 pour « La fille du Gobernator ». Ses partisans au sein du jury du plus prestigieux prix littéraire français auront finalement eu gain de cause (par sept voix contre trois au livre de François Sureau, « Lambert Pacha »).
Derrière cet impressionnant palmarès se cache une femme discrète de 53 ans, professeur de littérature française à Aix-en-Provence, qui bâtit loin des néons parisiens une œuvre dense, profonde, servie par une très belle langue. Une œuvre qui frappe par sa dureté, sa cruauté dans la manière dont les mécanismes les plus profonds des personnages sont mis a nu sans concessions, et qui rappelle à certains égards la force psychologique des romans de Dostoïevski, l’humour en plus.
« Confidence pour confidence » n’est pas à proprement parler un roman grand public, un livre fleuve dans le quel le lecteur se laisse glisser au fil des rebondissements, jusqu’au dénouement final. « Confidence pour confidence » est une œuvre dans laquelle on s'enfonce par à coups, dont la logique se dévoile progressivement, à mesure que se précisent les contours des quatre femmes dont il va être question tout au long du livre.
D’un côté, une universitaire noire, passionaria de la lutte féministe, militante antiraciste, émigrée sans fortune, parvenue à force de détermination à s'imposer dans son université de Middleway. Son obsession : publier un livre sur l'Afrique. Autre personnage : Babette Cohen, professeur d'origine pied-noir (comme l’auteur), qui a choisi le Nouveau monde pour donner un sens à sa vie anéantie par le départ de l'Algérie. Gloria et Babette doivent toutes deux leur réussite à une marque de sauce tomate qui a sponsorisé leurs études à l'université. Une souillure originelle dont elles ne se sont peut-être pas tout à fait remises.
En face d’elles, il y a Lola Dhol, une actrice norvégienne qui fit autrefois la Une de la presse du cœur avant de faire celle de la presse à scandale et de finalement sombrer dans l'oubli. Comme beaucoup de ses contemporains, Aurore Amer, la quatrième du groupe, Française, admire Lola Dhol. Elle avait d'autant plus de facilités à s’identifier à l’actrice qu’une stupéfiante ressemblance confondaient tous ceux qui la rencontraient. Aurore aurait voulu être actrice. El1e sera écrivain. Elle ignore que Gloria a entrepris le projet de plagier l’un de ses livres.
Le colloque est achevé. Les quatre femmes, qui ont passé la nuit chez Gloria, vont se séparer. Entre l’heure du réveil et celui du départ s’installe dans la maison un huis clos qui met à jour leurs ambitions et leurs désillusions, leur solitude et leur soif d’amour. Les va-et-vient des femmes, entre la buanderie et la salle de bain, la cuisine et la chambre d’enfant, provoquent des rencontres à deux, trois ou quatre. Paule Constant exploite chaque situation pour sonder un à un ses personnages, dans un jeu de miroir ou on découvre tantôt une image, tantôt son reflet.
Ayant dépassé la cinquantaine, ces femmes sont en quelque sorte à l’âge des bilans. Le jugement que porte chacune d’entre elle sur les trois autres est souvent féroce. Celui qu’elle porte sur elle-même ne l'est pas moins et leurs vaines tentatives pour embellir leur propre tableau a quelque chose de pathétique.
Au fond, ces quatre personnages souffrent, chacun à sa manière, d'une grande détresse affective, à l'image d’une génération de femmes qui ont vu la société évoluer, et leurs idéaux vieillir en même temps qu’elles : « Il y avait quelque chose de fascinant pour Aurore à voir ces femmes, qui avaient fait des carrières exemplaires, renier tout ce qu'elles avaient acquis à la force du poignet pour envier le sort de celles qu’elles avaient méprisées autrefois lorsqu'elles avaient interrompu leurs études pour se marier ». Aurore, la sœur de Paule Constant, qui refuse la maturation de l'âge, qui veut rester « verte, dure, âcre, acide ». Aurore fascinée, émue aussi, car derrière ces portraits brossés sans concession, transparaît la tendresse de l’auteur pour ces femmes fortes, exhibées dans toute leur fragilité.

Faites-le savoir, « Confidence pour confidence », le Goncourt 1998 restera dans les annales.

Marie-Laure Rolland.

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Le Devoir (Canada)

Entre quatre femmes.
Quand l'heure est au bilan.

Dans une petite ville universitaire du Kansas, Middleway, au cœur de l'Amérique et de nulle part, quatre femmes qui viennent de participer à un colloque féministe sont les hôtes de Gloria Patter, femme puissante à l'université. Elle est noire. Les autres sont Aurore Amer, romancière française, Lola Dhol actrice norvégienne, et Babette Cohen, pied-noir installée et intégrée aux Etats-Unis.
L'idéologie qui les rassemble recouvre une complicité intellectuelle de façade. Elle masque des contradictions, des conflits sourds, des luttes qui éclateraient au grand jour si le temps ne leur était était pas compté. Ayant atteint l'âge où les carrières ne sont plus à faire, où les couples résistent ou sont défaits, l'heure est aux bilans. En apparence, les vies de ces quatre femmes sont des réussites. De haute lutte, elles ont conquis leur autonomie, leur dignité de femmes et leur place dans la société. Elles se rendent compte qu'elles vieillissent, que les carrières ne suffisent pas, que les hommes qui auraient pu marquer leurs vies sont partis, quand elles ne les ont pas elles-mêmes renvoyés. Les rêves d'amour, les projets de couple se sont évanouis et elles sont résignées à vivre avec des hommes qu'elles désignent comme le Mécanicien ou le Médecin, ou à souffrir de l'abandon de l'Aviateur. Ces hommes n'étaient-ils là que pour jouer un rôle ?
Laissées à elles-mêmes, seules, isolées dans un enfermement transitoire, elles se rendent compte que la solidarité affichée face au monde adverse ne résiste pas : « à deux, elle se font des confidences et ne sont pas gaies ; à trois, elles se remontent le moral ; à quatre, elles tombent sur la quatrième pour l'enfoncer dans la déprime ».

Soi et l'autre
À qui se dire sinon à l'autre, miroir d'identité et son contraire, un soi et sa négation ? Elles se confient. Elles sont fortes et fragiles, conquérantes et flouées. Elles se font dorloter par des hommes plus jeunes qui leur sont soumis mais qui sont indifférents à leur féminité. Bref, elles n'ont pas de recours en dehors d'elles-mêmes : « C'est lourd le sac d'une femme qui vieillit avant que l'oubli ne l'allège. Il est rempli du poids d'une vie qui, la plus heureuse soit-elle, compte son lot de déceptions, gonfIé du poids des autres vies qu'une femme porte en elle, celle de sa mère, celle d'une sœur, surtout si elle est morte, d'une amie... »
Il ne faut pas chercher dans ce roman une description du féminisme ou du post-féminisme, encore moins une prise de position. En dépit de leur apparence absence, les hommes y sont omniprésents et, qu'ils soient jugés, aimés ou pris en pitié, se trouvent face à un rapport au monde dont, d'habitude, ils n'ont pas conscience.
L'humour, l'ironie mordante de Paule Constant ne voilent qu'à moitié une nostalgie de sentiment et un besoin, un appel à la réconciliation. Car, dès qu'elles se trouvent seules, ces femmes proclament une féminité qui est aussi un rapport, un lien avec les hommes.
La tristesse sous-jacente à ces bilans est interrompue, quasi interceptée par des moments lumineux de vie où le passé n'est que désir de poursuite, une acceptation de la vie sans résignation, et c'est vrai aussi bien pour les femmes que pour les hommes.

Naïm Kattan.
Confidence pour Confidence, Paule Constant, Gallimard, Paris, 1998.

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Salon International du livre de Québec.

Paule Constant

Une femme en cache une autre

Le prix Goncourt 1998 est venu confirmer ce que certains présidaient depuis quelques années. Paule Constant fait partie des partie des écrivains contemporains majeurs. Entrevue exclusive.

Il faut être une femme pour dire des choses pareilles sur les femmes. Paule Constant, dans une langue acérée, féroce bien souvent, débusque les vérités féminines sous tous leurs maquillages. Confidence pour confidence, publié chez Gallimard et couronné du Goncourt en 1998 est un roman d'une intelligence crue. S'y retrouvent quatre femmes de tête, réunies à l'occasion d'un congrès féministe. Toutes ont passé le cap de la quarantaine, et se retrouvent confrontées à elles-mêmes. Gloria Pater, seule Noire de la bande et féministe influente, cache sous des propos philanthropiques, une soif inassouvie de pouvoir et de reconnaissance. Aurore Amer, écrivaine française élevée en Afrique, est la preuve vivante que le succès n'efface pas les blessures ; Lola Dhol, has been du grand écran, noie dans l'alcool ce qui reste d'une gloire étiolée ; finalement, Babette Cohen, brillante universitaire à qui tout a souri, vient de voir sa vie basculer quand son mari l'a soudainement quittée.
Depuis Aix-en.Provence, l'auteure nous parle de son roman, mais aussi de son rapport à l'écriture, à la mémoire et au doute.

Vous entretenez une relation particulière avec le personnage d'Aurore Amer n'est-ce pas ?
« Ce personnage m'a permis de dire beaucoup de choses sur l'écriture. D'écrire, entre autres, que ça n'a jamais été une jouissance, que je suis dans le doute du début à la fin. Je doute du livre quand je l'écris, quand je termine, quand je le montre à mon éditeur, et je doute quand j'ai un prix littéraire. »

Le doute est proportionnel à l'importance du prix ?
« [Rires] Alors me voilà au fond du gouffre du doute... C'est-à-dire que pour moi, écrire, c'est le risque absolu. Un peu comme si tout nouveau livre, effaçant les précédents, je me sens comme un joueur qui rejoue son profit. Je voulais exprimer ça à travers une femme que l'écriture a détruite. L'écriture a autant détruit Aurore Amer que l'alcoolisme a détruit Lola, en fait. Aurore est incroyablement conservée, parce que sa destruction est sur le papier. »

Il y a un décalage important entre le personnage public de ces femmes et ce qu'elles sont dans l'intimité, n'est-ce pas ?
« La fonction crée le personnage, en effet. Ici, dans le domaine du secret, elles peuvent tout se dire. Mais si on lit bien le roman, on se rend compte qu'elles se disent peu de choses, finalement, sauf quand elles sont dans une très forte intimité. Elles se méfient, elles ne veulent pas refléter ouvertement la même image que l'autre, parce que l'autre apparaît comme l'image d'un échec. À ce sujet, je fais souvent référence au film "Le déclin de l'empire américain", parce que j'ai été frappée par la justesse avec laquelle on y fait parler les femmes. »

Vous vous êtes réellement inspirée du film de Denys Arcand ?
« Ça a été tout à fait déterminant dans l'écriture de Confidence pour confidence. J'ai voulu retrouver cette façon de dire les choses, particulièrement ce langage des femmes contemporaines, qui est un langage psychanalytique permanent. Si vous avez une fille, on vous dit qu'elle ne se réalisera jamais à cause de votre trop forte personnalité ; si vous caressez votre chien, on vous dit que c'est un substitut d'enfant. Les femmes portent sans cesse des jugements analysants, alors qu'autrefois, jusqu'au XlXe siècle, le jugement était moralisant. »

Vous vous inspirez en partie d'expériences vécues. Comment se fait l'alchimie entre fiction et réalité ?
« Je crois qu'écrire, c'est jouer avec la réalité. J'ai envie d'employer la formule "inventer la réalité".
Oui, écrire, c'est peut-être bien substituer une réalité la réalité. Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire qu'écrire, c'est trouver la réalité insupportable ?
C'est vrai aussi pour la mémoire. Plus j'écris, moins j'ai de mémoire. Un peu comme si mes livres la remplaçaient. Enfant, j'étais pourtant la mémoire de la famille ; je pouvais dire à ma mère : "Il y a dix ans, tu avais une robe comme ci ou comme ça." Mais depuis que j'écris, j'ai substitué la fiction de l'écrit à la réalité de ma vie. Et c'est très troublant : je perds la mémoire en quelque sorte. »

Une fois que les choses sont écrites, vous oubliez les choses ?
« J'oublie les raisons qui ont provoqué l'écriture. Ça peut avoir un bon côté d'ailleurs... »

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Libération (Maroc), 21 août 1998.

Coup de cœur pour un roman.
Les confidences de Paule Constant.

L'avez-vous vue dans « Bouillon de culture » sur TV5, l'émission de Bernard Pivot ? Le femme est belle, typée - elle pourrait être Marocaine... -, ses sourires sont gourmands et son humour incisif. Paule Constant est blanche, mais son âme est africaine. Tant et si bien que sont rares ceux qui savent décrire avec autant de justesse et de vérité des paysages accablés de soleil, des ambiances le plus souvent coloniales dans des mondes qui se désagrègent. Comme Jean-Marie Gustave Le Clézio (avec notamment Désert, Onithsa, Poisson d'or..., parus chez Folio) Paule Constant a su, au fil de ses romans, créer, recréer, inventer, fantasmer toute une mythologie, ressusciter des univers dont le lecteur se doute bien que les fragments essentiels viennent de souvenirs d'enfance de l'auteur, des souffrances d'une petite fille et de ses douleurs.
On retrouve cette enfant dans son œuvre éditée chez Gallimard et publiée en poche chez Folio : Ouregano, Propriété privée, Balta, White spirit et La fille du Gobernator qui méritait le prix Goncourt. Outre l'Afrique au sens large, l'un des sujets de prédilection de Paule Constant est l'éducation des filles. Cette préoccupation lui a fourni le thème d'un essai : Un monde à l'usage des demoiselles (Gallimard) et aussi de son roman intitulé Le grand Ghâpal (Folio), un chef d'œuvre écrit dans une langue d'une pureté toute classique.
Confidence pour confidence, tel est le titre du dernier roman de Paule Constant qui vient de paraître chez Gallimard... Le décor change : l'auteur nous transporte aux Etats-Unis, à Middleway dans le Kansas. Les petites filles ont grandi, sont devenues des femmes mûres et, à quatre, elles vont échanger "confidence pour confidence". Sur le plateau de Bouillon de culture, Paule Constant confiait : « Ce qui réunit ces femmes est que chacune d'entre elles voudrait être l'autre. C'est un livre en miroir. C'est un titre en miroir, faussement doux: "Méfiance-méfiance" ».
Gloria Pater est noire, elle revendique des racines africaines mais ne peut que les inventer. Aurore Amer, la romancière française, est blanche mais a un passé africain. Lola Dhôl, actrice norvégienne, fut autrefois célèbre. Babette Cohen, émigrée d'Algérie avec un couscoussier dans les bras, a réussi à s'intégrer aux Etats-Unis. Elles ont répondu à l'invitation de l'universitaire Gloria qui a organisé un colloque féministe.
Quatre femmes, quatre portraits criants de vérité, brossés avec maestria et jubilation. Paule Constant, telle un chat qui s'apprête à dévorer une souris dodue - ou plutôt un gros rat, lisez, vous saurez pourquoi - se pourlèche les babines. Ces femmes font le bilan de leur vie, s'aiment et se jalousent. La vision de l'auteur est sensible, lucide, cruelle. Elle sait épingler les travers de ses contemporaines avec une virtuosité rare. Les lectrices se reconnaîtront forcément à un moment ou à un autre. Les lecteurs, eux, sortiront de ce huis-clos fourbus, éreintés, un sourire ironique au coin des lèvres. Le ton est tellement enlevé, les dialogues si vifs qu'on a l'impression de sortir d'une séance de cinéma, une fois sa lecture achevée. Et c'est, outre le plaisir de lire un écrivain qui a du style, l'occasion de prendre le pouls de la société occidentale...

Mehdi B. de Graincourt

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Die Zeit, 2000

Alexandra Kelvec : Der älteste und der jüngste Roman der Goncourt-Preisträgerin Paule Constant
(le dernier et le premier roman de Paule Constant, prix Goncourt).

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